L'inconnu de l'Élysée
le moral. On va l'inviter à dîner, Marie-France, vous et moi, au petit bistrot d'en face. – Je voudrais bien, mais je suis déjà pris à dîner. – Annulez votre dîner !…” J'ai dû téléphoner à ma femme pour lui annoncer que je ne venais pas. Puis on va au café d'en face – le Napoléon – où il n'y avait pratiquement personne. Le patron se précipite au-devant de nous. Juillet dit : “Où est-ce qu'on se met ?” J'indique un endroit bien calme, dans un coin. Pompidou, avec son air matois : “Non, on va se mettre en terrasse. Il est temps de se faire connaître !” » (Gros rire.)
Le président enchaîne sur une autre anecdote qui se déroule durant la campagne :
« J'arrive au siège. Comme toujours il y avait là quinze journalistes. J'y entre. Comme c'était au deuxième, j'avais l'habitude de grimper les escaliers en courant. Au premier, je vois un monsieur qui attend, assis. Je monte. Je reste environ trois quarts d'heure, une heure, puis redescends, toujours en courant, à l'instant où sort le monsieur que j'avais remarqué au premier étage. Tous les journalistes se précipitent sur lui qui leur lance : “Je n'ai pas de commentaire à faire…” Il tourne le coin de la rue et s'en va. Je demande aux journalistes : “Qui est ce zèbre ? – Tixier-Vignancour ? Il vient d'avoir un rendez-vous avec M. Pompidou. – Je veux bien que ce soit M. Tixier-Vignancour, mais ce que je peux vous dire, c'est qu'il n'a pas vu M. Pompidou, parce qu'il n'est pas entré dans son bureau. Il est resté assis pendant une heure sur le palier du premier étage ! »
Le président continue d'égrener quelques souvenirs de campagne :
« J'essayais de récupérer de l'argent, ce qui était ardu car, à l'époque, on ne se précipitait pas pour nous en donner. Pompidou demandait : “Comment ça se passe ?” ; on répondait : “Aucun problème !” En réalité, on n'avait pas un rond. Juillet puis moi, nous avons hypothéqué notre maison pour en tirer un peu d'argent… Après, c'est venu plus facilement… »
Et de rapporter la proposition faite par le roi d'Arabie de donner des valises de billets pour la campagne ; du refus de Pompidou (« Jamais un sou de l'étranger ! ») ; puis de la conviction du nouveau chef de l'État, à la suite du voyage officiel de Fayçal à Paris, que les valises avaient bel et bien été acceptées. « Je suis content d'avoir contribué matériellement à votre succès », lui dit à cette occasion le monarque. Pompidou en fut ulcéré, mais, après quelque hésitation, refusa d'ouvrir une enquête. « Il s'est vraisemblablement trouvé quelqu'un pour prendre les valises », conclut Jacques Chirac.
Pierre Juillet et Marie-France Garaud passent généralement pour avoir dans une large mesure « fabriqué » l'actuel président. Ce sont eux aussi qui, à coups de petites phrases acerbes, ont, après l'avoir quitté, forgé l'image de quelqu'un d'influençable, changeant d'avis à chaque changement de conseiller.
« Cela fait très longtemps que je suis accusé de changer d'avis. Ça ne m'a jamais beaucoup affecté. Il serait un peu facile de rétorquer, ce que j'ai fait à maintes reprises : “Seuls les imbéciles ne changent pas”, mais j'observe que quand on vous accole une étiquette, on a beaucoup de mal à s'en défaire, c'est comme ça. Il m'est très probablement arrivé de changer d'avis. Les gens qui me connaissent bien, avec qui je travaille, mes collaborateurs ne m'ont néanmoins jamais accusé d'être une girouette. Pourtant, l'image s'est installée et il est difficile de s'en débarrasser… »
J'évoque les rôles de Pierre Juillet et Marie-France Garaud à ses côtés.
« Deux personnages très différents l'un de l'autre, mais qui s'étaient associés pour soutenir Pompidou et qui ont eu tôt fait de constater que, dans l'entourage de Pompidou, il y en avait un – moi – qui s'imposait plus ou moins. Tout naturellement, ils ont donc fait en sorte que j'entre dans leur équipe. J'étais en quelque façon le troisième, avec Pierre Juillet, intelligent et cultivé, très gaulliste, très pompidolien, très français, ne plaisantant à aucun titre, et Marie-France Garaud, fine mouche, intelligente elle aussi mais, entre nous, un peu garce. Probablement se sont-ils un peu servis de moi. Nous avons constitué un groupe au service de Pompidou et des idées qu'il représentait, étant entendu, je le répète, que
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