L'inconnu de l'Élysée
ministre. Je restais toute la journée rue de Rivoli, et le soir, vers 19 heures, j'allais avenue de Latour-Maubourg où je retrouvais Pierre Juillet, Marie-France Garaud et deux ou trois autres personnes. Là, on faisait pla-pla, pla-pla…
– Vous faites alors partie de la garde rapprochée de Pompidou ?
– Oui, oui… Un jour, j'arrive et je vois Juillet qui tire une tronche pas possible. Je lui demande ce qu'il y a : “Il y a un problème, une histoire épouvantable : le Premier ministre va être traumatisé par cette affaire. Il faut le lui annoncer.” Je lui réponds : “C'est à vous de faire ça, vous êtes le plus proche ; à vous de le lui dire. – J'ai une autre idée. J'ai été prévenu par Jean-Luc Javal 21 . C'est lui qu'on va envoyer le prévenir…” J'insiste et répète que ce serait plutôt à lui de faire la démarche. En vain.
« Javal est donc allé prévenir Pompidou. Il lui a tout déballé : qu'il y avait des photos de Mme Pompidou, etc. Ça s'est très mal passé. Pompidou, là, n'a pas été bien, et c'est même la seule chose que je lui aie jamais reprochée. Il en a terriblement voulu à Javal. Il ne le lui a pas pardonné. Il a fait un transfert contre Javal. Ce n'était pas convenable. Du coup, on a eu beaucoup de mal, Juillet et moi, à lui retrouver une situation. »
Jacques Chirac connaît-il aujourd'hui les noms de ceux qui fomentèrent ce complot contre Georges Pompidou ?
« Pompidou a toujours été convaincu que Couve y avait joué un rôle. Moi, je n'en ai aucune preuve. René Capitant 22 aussi. Contre celui-ci, il pouvait au moins retenir une chose : c'est de ne pas l'avoir prévenu.
– Le général de Gaulle non plus n'a rien dit…
– Le général de Gaulle n'a rien dit non plus. Par cette affaire assez extraordinaire, montée de toutes pièces, il s'agissait de tuer politiquement Pompidou.
– On dit que Pompidou avait dans son portefeuille un petit feuillet plié en quatre où étaient inscrits les noms de ceux qu'il tenait pour responsables de l'affaire…
– Absolument.
– Vous n'avez jamais su quels étaient ces noms ?
– Non ! Vous savez, Pompidou était un homme charmant, mais il ménageait une séparation extrêmement nette entre ses collaborateurs, qui étaient là pour servir, et ses amis. Il n'y avait aucun lien entre les deux mondes. Moi, j'étais invité de temps à autre au cinéma, et c'est là que j'ai rencontré certaines personnes comptant parmi ses amis…
– Quelles actions avez-vous entreprises pour défendre Pompidou dans l'affaire Markovic ? Je ne connais que l'engueulade 23 que vous avez passée à Joël Le Theule, alors secrétaire d'État à l'Information, qui avait laissé passer une information sur les ondes nationales à propos de cette affaire…
– Mais je n'ai rien fait !
– Pourtant, Pompidou considérait que vous étiez celui qui l'avait le mieux défendu !
– Je n'ai rien fait de plus que dire que tout cela était ignoble…
– Vous avez téléphoné, vous avez…
– Probablement ai-je fait part de mon indignation contre une opération dont j'étais convaincu que c'était un coup monté, que ça ne reposait sur rien… C'est tout. »
Cette machination renforce la résolution de Pompidou de se positionner comme successeur du général de Gaulle. Le 17 janvier 1969, dans un hôtel de Rome, il lâche devant quelques journalistes : « Ce n'est, je crois, un mystère pour personne que je serai candidat à une élection à la présidence de la République quand il y en aura une. » La rupture de Pompidou avec le général de Gaulle et le gaullisme historique est consommée.
Le 27 avril 1969, de Gaulle perd le référendum sur la décentralisation et la réforme du Sénat. Quelques heures après les résultats, il résilie ses fonctions. Quarante-huit heures plus tard, Pompidou annonce sa candidature. Jacques Chirac fait partie de sa garde rapprochée pour sa campagne : il en est nommé le trésorier, en charge des recettes. Parmi ce noyau dur, on retrouve Michel Jobert, Édouard Balladur et bien sûr Marie-France Garaud et Pierre Juillet.
Jacques Chirac se rappelle la réception du premier sondage donnant Alain Poher largement en tête et « Pompidou dans le 36 e dessous ».
« Juillet faisait une gueule affreuse. “On n'a pas un bon sondage”, me dit-il. Je lui réponds : “Il ne faut jamais croire les sondages. – Le Premier ministre l'a vu et n'a vraiment pas
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