L'inconnu de l'Élysée
et les ouvriers a pratiquement commencé. »
Je reprends :
« Vous aviez noué une relation assez forte avec Krasucki.
– Oui.
– Il avait un point commun avec vous : celui de jouer les analphabètes alors qu'il était très cultivé et, de surcroît, un grand mélomane…
– Il m'avait confié un jour être amateur de grande musique et je lui ai répondu qu'en dehors de La Marseillaise , moi, je n'y connaissais rien.
– Vous avez continué à vous dissimuler.
– En l'occurrence, non. C'est vrai que je n'aime pas la musique classique. J'aime assez la musique chinoise, la musique asiatique, j'en écoute même dans mon bureau ; en revanche, pour ce qui est de la classique, je n'ai pas l'oreille à cela… »
Je reviens sur son rôle « important » dans les négociations qui ont abouti à la signature des accords de Grenelle, cérémonie où on le voit assis aux côtés de Georges Pompidou.
« Je me souviens d'un moment particulier, quand on a conclu, vers 4 heures du matin. Le problème était de savoir si on mettait le SMIC 16 à trois francs ou non. On était prêts à céder à 2,80 francs, ou quelque chose comme ça. Je quittais discrètement la salle pour avoir des entretiens confidentiels avec Séguy ou Krasucki. Je sors et on se met d'accord – avec Séguy, je crois – sur un chiffre légèrement inférieur à trois francs. Je rentre discrètement, lui d'un côté, moi de l'autre. Pompidou propose le chiffre. Le représentant de FO prend alors la parole et dit : “On est tous d'accord pour trois francs !” Stupeur de tout un chacun. Séguy déclare qu'il ne peut faire autrement que de s'aligner. C'est comme ça qu'on a fait le SMIC à trois francs. »
Il est sept heures du matin, ce 27 mai 1968. L'accord prévoit notamment une augmentation du SMIC de 35 %, une hausse moyenne des salaires de 10 %. Jacques Chirac est alors persuadé que la France va se remettre au travail, mais les grèves dures continuent. Beaucoup de ministères sont vides, c'est la débandade dans les allées du pouvoir. Le 29 mai, le général de Gaulle disparaît à l'étranger sans prévenir. Pompidou se retrouve seul – enfin, pas tout à fait : Chirac fait partie du dernier carré de fidèles.
« J'étais tout à fait serein. Je me disais que tout cela finirait par passer. J'ai trouvé que les ministres, au cours de cette période, ne furent pas brillants : au mieux ils se volatilisaient, au pire ils commençaient à prendre des contacts ailleurs. Fouchet, ministre de l'Intérieur, avait disparu. On avait été obligé d'installer son directeur de cabinet à Matignon. Même Olivier Guichard, on ne l'a pas beaucoup vu… Il en allait de même avec les cabinets. J'avais un chef de cabinet, un camarade de promotion, avec qui j'étais très lié : il m'a écrit pour me dire qu'il serait fidèle et loyal, tout en me prévenant que, sitôt la crise terminée, il me remettrait sa démission. Ils étaient tous complètement paumés. J'apprends par Michèle Cotta, qui était très bien avec tout le monde, que Mitterrand recevait et tenait table ouverte : “Tu ne sais pas qui j'ai vu faire la queue chez Mitterrand ? Olivier Stirn et le sous-préfet Érignac [deux membres du cabinet de Jacques Chirac]. Tu me croiras si tu veux, ils ont attendu sept heures et finalement n'ont pas été reçus.” Telle était l'ambiance à cette époque 17 . Au sein de mon cabinet, seuls Jean-Paul Parayre 18 et Annie Lhéritier se sont bien comportés. Annie Lhéritier me disait : “Laissez faire, tout cela ne présente aucun intérêt, ça va se calmer…”
« Du coup, je suis revenu m'installer à Matignon. On n'était pas nombreux, autour de Pompidou, ça ne se bousculait pas ! Il y avait Pierre Juillet, naturellement, Michel Jobert, Marie-France Garaud, Édouard Balladur…
– Est-ce à ce moment que se sont noués vos liens d'affection avec Georges Pompidou ? Vous faisiez partie de son cercle rapproché après avoir joué un rôle important à Grenelle…
– Pompidou n'était pas homme à s'épancher auprès de ses collaborateurs. Je lui ai toujours été parfaitement loyal, et je n'attendais de lui ni remerciements ni considération particulière. »
Le Premier ministre n'a pas admis que le général de Gaulle ne l'ait pas prévenu de son départ pour l'étranger, et l'image qu'il avait de lui s'en est soudain trouvée écornée. L'homme du 18 juin a-t-il joué un coup de poker ? a-t-il simplement
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