L'inconnu de l'Élysée
paniqué ? Toujours est-il que les relations entre les deux hommes se sont alors brutalement détériorées. Pompidou donne sa démission. De Gaulle la refuse, mais est obligé de lui concéder la dissolution de l'Assemblée nationale. Le 31 mai, Pompidou remanie son gouvernement. Chirac est nommé secrétaire d'État au Budget. Les gaullistes triomphent aux élections législatives. En guise de remerciement, de Gaulle congédie son Premier ministre. « Quelque chose en moi était ébranlé. Nos rapports étaient donc des rapports de fonction et de circonstance, et non pas des rapports privilégiés entre un grand homme et quelqu'un qui lui était dévoué », écrira à ce propos Georges Pompidou 19 . Chirac, désorienté, est prêt à quitter le gouvernement, mais Pompidou l'en dissuade et lui demande au contraire de s'accrocher à son poste de secrétaire d'État au Budget à la fois pour continuer sa formation et pour l'informer, lui, son protecteur, des mouvements de l'économie française.
Maurice Couve de Murville, qui succède à Pompidou, propose d'autres postes au jeune Jacques Chirac qui les décline l'un après l'autre. Celui-ci devient à la fois le porte-parole et l'intermédiaire de l'ancien Premier ministre auprès du nouveau.
« Couve, très content d'être à Matignon, ne tenait pas à aggraver les choses avec Pompidou et a trouvé très bien mon rôle de go-between … Il m'a donc complètement associé à la formation du gouvernement, non pas pour mes compétences, mais parce que ça lui évitait de négocier quoi que ce soit avec Pompidou… Ce dont je me souviens fort bien, c'est que Couve n'aimait pas du tout Edgar Faure… Après en avoir naturellement parlé avec Pompidou, j'avais dit au Premier ministre : “Il faudrait mettre Edgar à l'Éducation nationale. – Ça n'est pas possible, il va faire n'importe quoi”, m'avait répondu Couve. Et je m'entends encore lui répondre – de ça je suis sûr, pour le coup : “Monsieur le Premier ministre, vous avez tort (et c'est là où on voit à quel point on peut être naïf). Ou bien il va réussir, et ce sera la réussite du gouvernement ; ou bien il va échouer, et ce sera son échec à lui…” C'est l'argument qui l'a convaincu de nommer Edgar à l'Éducation… Eh bien, ç'a été exactement l'inverse, parce qu'il était plus malin que nous, le père Edgar ! Il a été nommé, il a pris comme directeur de cabinet le futur mari de Michèle Alliot-Marie, un garçon très gentil avec qui j'étais ami, et en tant que secrétaire d'État au Budget j'ai été en relation permanente avec cet Alliot qui me demandait sans cesse quelque chose de la part d'Edgar pour lui faciliter la vie sur le plan financier. Et je passais mon temps à régler les problèmes de l'Éducation nationale pour faire plaisir à Edgar, à la demande d'Alliot… »
Alors que Chirac a un pied dans le gouvernement Couve et l'autre chez Pompidou, lequel s'est mis en réserve de la République, voici qu'éclate l'affaire Markovic. Autour du meurtre de Stefan Markovic, ancien garde du corps et confident d'Alain Delon, une sordide machination visant l'ancien Premier ministre est déclenchée. Des photos pornographiques truquées visant Mme Pompidou circulent dans Paris. Un homme qu'on retrouvera aux côtés de Charles Pasqua quelques années plus tard figure parmi ceux qui sont à la manœuvre : alors agent du SDECE (future DGSE), Jean-Charles Marchiani agit pour le compte de gaullistes de gauche qui ne veulent à aucun prix de Pompidou comme successeur du Général à l'Élysée. L'affaire blessera d'autant plus le couple Pompidou que ni Couve de Murville ni de Gaulle ne sont intervenus pour stopper immédiatement cette machination. Jacques Chirac, lui, s'engage complètement dans la défense de son patron. « Celui qui fut le plus fidèle, le plus ardent, qui m'aida vraiment, c'est Jacques Chirac », confirmera plus tard Georges Pompidou 20 .
Comme à son habitude, et malgré le témoignage de l'intéressé lui-même, Jacques Chirac ne souhaite pas reconnaître qu'il joua un rôle important – le plus important – dans la défense de Pompidou.
« Je me souviens fort bien de cette affaire. J'étais resté secrétaire d'État au Budget à la demande de Pompidou et avec le plein accord de Couve qui connaissait parfaitement mes liens avec lui. Je servais de trait d'union entre Couve et Pompidou. Ce secrétariat d'État me conférait pratiquement le rang de
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