L’Inconnue de Birobidjan
devant lui avec son maillet et sâinclina vers le micro.
â Répondez par oui ou par non, Miss Apron. Ãtes-vous accompagnée dâun avocat ?
â Je ne vois pas dâavocat avec moi.
Elle eut un petit geste pour désigner les sièges vides à côté dâelle. Je ne fus pas le seul à sourire. Elle avait un accent. Pas très prononcé, mais quand même. Et qui ne venait pas du lac Michigan. Ce genre dâaccent que traînaient les émigrés allemands ou polonais pendant une ou deux générations.
Contrairement à lâhabitude, la salle nâétait pas pleine à craquer. Outre les flics, postés devant les portes et sur les côtés de lâestrade, les sénateurs et représentants membres de la Commission, les sténos et les deux caméramans officiels du Congrès, nous nâétions que quatre chroniqueurs. Wood avait ordonné que lâaudience se déroule « portes closes ». Une procédure qui permettait dâexclure le public et de choisir les journalistes.
Dâordinaire, lâHUAC aimait faire du grand spectacle. Mais parfois les « portes closes » sâavéraient un bon moyen dâattirer lâattention de la presse sur un témoin inconnu. Un journaliste normalement constitué déteste quâon lui fermela porte au nez. Et moi, jâétais parmi les heureux quâon avait laissés entrer.
Pourquoi ?
Une bonne question encore sans réponse. Je nâétais pas spécialement bien en cour avec la Commission. Je nâavais pas pour habitude de hurler aux loups avec la meute. En deux ou trois occasions, jâavais écrit sans ambiguïté que les méthodes de lâHUAC nâétaient pas celles quâon pouvait attendre dâun pays comme le nôtre. Pourtant, la veille, jâavais reçu le petit carton portant mon nom qui me rendait persona grata pour cette 147 e audience. Et maintenant que jâétais là , bien calé derrière la table de presse, à observer cette superbe inconnue, lâArmée rouge aurait eu du mal à me déloger.
Wood fit glisser des feuillets devant lui. Ce nâétait pas un bon acteur. Quand il cherchait à se donner une expression sévère, cela avait surtout pour effet de gonfler son double menton.
â Miss Apron, il est de mon devoir de vous rappeler certaines règles. Sachez que si vous refusez de répondre aux questions qui vous seront posées, cela vous conduira en prison pour outrage au Congrès. Vous devez aussi avoir conscience que les droits dont vous disposerez devant la Commission seront uniquement les droits que vous accorde cette commission. Me suis-je fait comprendre, Miss Apron ?
â Je crois.
â Répondez par oui ou par non.
â Oui.
â Levez-vous, sâil vous plaît⦠Levez la main droite et jurez de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
â Je le jure.
â Non. Vous devez répéter après moi : Je jure de dire la vérité â¦
â Je jure de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
â Vous pouvez vous asseoir⦠Monsieur Cohn, le témoin est à vous.
Câétait parti. Wood se cala dans son fauteuil et le procureur Cohn reposa son stylo en or sur les dossiers entassés devant lui avant de se redresser.
Un drôle de lascar, ce Roy Cohn. Vingt-trois ans, une tête de bambin ou dâange boudeur. Toujours vêtu avec soin, affectionnant les costumes trois-pièces de chez Logan Belroes, avec un faible pour les cravates de soie grise. Une fossette au menton et sa bouche gourmande le rendaient capable dâun mignon sourire. Avec sa raie bien nette, ses cheveux lustrés à la gomina manière Clark Gable, il aurait été plus à sa place dans un cosy dancing que dans un rôle de procureur. Pourtant, câétait ce quâil était. Et sâil avait une tête dâange, câétait celle dâun ange noir.
Tout jeune quâil soit, il avait déjà eu le temps de se tailler une réputation. En deux ans et demi, il avait conduit une centaine dâenquêtes dâactivités « anti-américaines ». On comptait sur les doigts dâune main ceux qui sâen étaient tirés blanchis. On pouvait se demander
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