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L’Inconnue de Birobidjan

L’Inconnue de Birobidjan

Titel: L’Inconnue de Birobidjan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: MAREK HALTER
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Washington, 22 juin 1950
    147 e audience de la Commission des activités anti-américaines
    â€” Votre nom complet et votre adresse actuelle, s’il vous plaît.
    â€” Maria Magdalena Apron, Hester House, 35 Hester Street, Lower East Side, New York.
    â€” Depuis quand ?
    â€” L’an dernier, en février 1949.
    â€” Date et lieu de naissance ?
    â€” 10 octobre 1912, Grosse Pointe Park, Detroit, Michigan.
    â€” Votre profession ?
    â€” Actrice.
    â€” Occupation actuelle ?
    â€” J’enseigne le théâtre.
    â€” Vous ne jouez pas ? Vous enseignez seulement ?
    â€” Oui, à l’Actors Studio, à New York.
    â€” Êtes-vous accompagnée d’un avocat, Miss ?
    Elle se contenta de secouer la tête.
    Je fis comme les autres, je ne la quittai pas des yeux. Une beauté. Un visage ample, une bouche sensuelle soulignée de rouge, des cheveux plus sombres que du charbon et relevés en chignon. Malgré sa robe noire, stricte, serrée sur la poitrine par une petite broche en argent, on lui donnait facilement cinq ou six années de moins que son âge. On l’imaginait sans peine en couverture des journaux à potins d’Hollywood. Sauf que ses yeux racontaient une histoiremoins glamour. Deux iris d’un bleu intense qu’elle savait rendre aussi opaques qu’une laque de Chine.
    Je m’appelle Allen G. Kœnigsman. En ce printemps 1950, j’étais chroniqueur au New York Post . Depuis trois ou quatre ans, la chasse aux communistes battait son plein. Grâce à McCarthy et à sa clique, le pays commençait à se convaincre que les espions de Staline infestaient Hollywood et les théâtres de la côte Est. Quand on était acteur, réalisateur ou scénariste, une convocation devant l’HUAC, la Commission des activités anti-américaines, ne vous aidait pas à dormir. J’avais déjà vu défiler une bonne partie du gratin des studios devant les micros. Des grosses pointures comme Humphrey Bogart, Cary Grant, Lauren Bacall, Jules Dassin, Elia Kazan, Brecht ou Chaplin. Tous avaient fait de leur mieux pour prouver qu’ils étaient de bons Américains et de vrais anticommunistes. Mais la liste de ceux qui n’avaient pas convaincu la Commission n’avait cessé de s’allonger. On l’appelait la black list , la « liste noire », d’Hollywood… Noire comme la mort, autant dire. Ceux qui s’y retrouvaient inscrits pouvaient quitter les studios, tracer une croix sur leur ambition et changer de métier. Beaucoup devaient aussi tirer un trait sur leur famille. Quelques-uns préféraient dire adieu au monde pour de bon. Un sale temps.
    Assister à ces auditions m’était pénible. On n’y croisait pas le genre humain sous son meilleur jour. Mais c’était mon boulot, j’étais devenu une sorte d’expert. Et cette femme qui passait sur le gril de la Commission, ce jour-là, j’ai senti au premier coup d’œil qu’elle ne cadrait pas avec toutes celles que l’on avait déjà vues témoigner. Pas seulement parce que je n’avais jamais lu son nom sur une affiche de film. C’était autre chose. Ça venait de son maintien. De cette manière qu’elle avait de s’asseoir, de nouer ses mains devant elle. Sa patience, aussi. Elle ne montrait rien des minauderies des filles ordinaires d’Hollywood. Cette façon qu’elles avaient toutes de vous offrir leurs yeux et leur bouche comme une promesse de rêve. Non qu’elle soitmoins belle, pas de doute là-dessus. Mais sa beauté ne devait rien aux maquilleuses de la MGM ou de la Warner. J’aurais mis ma main au feu que cette femme avait déjà dû voir défiler les vérités de la vie dans son cinéma personnel.
    Comme elle se taisait toujours, Wood leva un sourcil en signe d’impatience. Le sénateur J. S. Wood était le chairman de la Commission depuis un an. Un petit bonhomme rond, toujours affublé de la même cravate à bandes bleues sur fond jaune. On le prétendait très copain avec l’acteur Reagan, le président de la Guilde des acteurs. Six mois plus tôt, ils avaient dressé ensemble une liste d’acteurs prétendument communistes. Je n’y avais pas lu le nom de cette Maria Apron.
    Wood frappa la table

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