L’Inconnue de Birobidjan
les claviers des sténos cessèrent de cliqueter. La voix de Cohn était aussi plate que sâil annonçait la météo.
â Lâagent Apron nâest jamais rentré de mission. Les dossiers de lâOSS ont enregistré un dernier contact à lâété 1944. Depuis, plus rien⦠Plus rien jusquâà ce que cette personne donne au FBI ce passeport et prétende se nommer Maria Magdalena Apron.
Lorsque Cohn se tut, les épaules de la Russe se voûtèrent. Une veine battait à toute vitesse sur sa tempe. Sa poitrine gonflait à petits coups le tissu noir de sa robe, faisant scintiller la broche en argent. Je nâai jamais su si câétait un effet de sa maîtrise dâactrice ou de la panique, mais sa bouche ne sâentrouvrit même pas. Wood et McCarthy aboyèrent enrythme. Pendant quelques secondes, ce ne furent que des hurlements :
â Avez-vous tué lâagent Apron, Miss Nobody ?
â Non !
â Qui êtes-vous ?
â Depuis quand nous espionnez-vous ?
â Je ne suis pas une espionne !
â Vous mentez !
â Qui travaille dans votre réseau ?
â Personne ! Je neâ¦
â Vous mentez !
â Non !
Elle était debout. Plus grande quâon ne lâaurait cru.
â Je ne suis pas une espionne et je nâai pas tué Michael ! Vous ne savez rien ! Jâai tout fait pour le sauver.
à présent, on savait dâoù venait son accent. Son regard glissa sur les sénateurs, vers la table de presse. Je devais arborer le même air de fauve affamé que les autres. Il se pouvait que Cohn ait décroché le gros lot. Je commençais à avoir une idée de la prochaine une du Post . Des pensées qui devaient se lire comme des néons sur nos visages. Elle se rassit.
â En effet, Apron nâest pas mon nom. Câest Michael qui me lâa donné. Ce passeport aussi, câest lui qui me lâa donné.
â Il vous lâa donné ou vous lâavez tué pour le lui prendre ?
Câétait Nixon. On ne lâavait pas encore entendu. Chaque fois quâil ouvrait la bouche, il me semblait entendre du gravier tomber sur le sol.
â Non ! Non, ce nâest pas ça !
Wood leva la main pour lâinterrompre.
â Vous devriez reprendre lâinterrogatoire, monsieur Cohn.
La Russe nous dévisageait les uns après les autres. Nos yeux se croisèrent pour la première fois. Le bleu des siens aussi sombre quâun abysse. Jâai pensé : sombre comme la peur. Ses paupières se fermèrent le temps dâune respiration. Je pouvais compter les rides autour de sa bouche.
Cohn reprit lâinterrogatoire de sa voix dâécolier modèle. Il fit ce quâil savait le mieux faire : il afficha cette morgue nonchalante qui laissait entendre quâon ne le convaincrait pas de sitôt quâun être humain lui faisait face.
â Votre nom ?
â Marina Andreïeva Gousseïev 1 .
â Date et lieu de naissance ?
â Le 10 octobre 1912 à Koplino. Une ville au sud de Leningrad.
â Quand êtes-vous entrée sur le territoire des Ãtats-Unis ?
â En janvier 1946.
â Pourquoi êtes-vous entrée aux Ãtats-Unis avec un faux passeport ?
â Michael me lâa donné. Ilâ¦
â Vous êtes un agent soviétique ?
â Non !
â Ãtes-vous membre du Parti communiste ?
â Non !
â Vous nâavez jamais été membre du Parti communiste ?
â Non ! Jamais, jamais !
â Vous êtes soviétique et pas communiste ?
â Jâai fui mon pays parce que je ne pouvais plus y vivre. Parce que Michael devait fuir, lui aussi.
â Vous avez fui avec Michael Apron ?
â Oui, il le fallait.
â Vous lâavez tué ?
â Non ! Pourquoi lâaurais-je tué ? Je lâaimais. Jamais je nâai aimé quelquâun comme Michael.
â Les prisons sont pleines de meurtriers qui ont aimé ceux quâils ont tués, Miss. Comment avez-vous obtenu ce passeport ?
â Câest Michael⦠Je ne lâai pas tué. Je vous le jure.
La voix de Wood résonna dans les
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