L’Inconnue de Birobidjan
dâoù venait sa soif dâépingler ces pauvres gens à son tableau de chasse, mais elle ne paraissait pas près dâêtre étanchée.
Quand il fut debout, il attaqua sans attendre :
â Maria Apron, êtes-vous membre ou avez-vous été membre du Parti communiste ?â¦
â Non.
â Vous nâêtes pas membre du Parti communiste des Ãtats-Unis ?
â Non, bien sûr que non.
â Et vous ne lâavez pas été ?
â Non.
â Pas même dans un autre pays que les Ãtats-Unis ?
â Je ne comprends pas ce que vous voulez dire.
â Vous nâêtes pas membre du Parti communiste de lâURSS ?
â Non. Comment pourrais-je lâêtre ?
â Vous avez prêté serment devant cette commission, Miss Apron . Je vous repose ma question : êtes-vous membre du Parti communiste de lâURSS ?
â Non, je ne le suis pas et je ne lâai jamais été.
Sa voix avait changé. Le regard de Cohn aussi. Quelque chose sâétait passé entre eux qui nous échappait. Il y avait un piège différent de dâhabitude dans les questions du procureur. Elle lâavait déjà compris.
â Ãtes-vous un agent soviétique, Miss Apron ?
â Non. Je suis une actrice, câest tout.
â Depuis quand êtes-vous aux Ãtats-Unis, Miss Apron ?
â Je viens de vous le dire. Vous avez mon passeport.
â Vous êtes née aux Ãtats-Unis ?
â Oui.
Cohn approuva, étala son sourire dâange.
â Vous mentez.
Il leva la main droite en montrant un passeport vert. Il sâadressa aux sénateurs :
â Le témoin a remis ce passeport aux agents du FBI. Elle leur a déclaré sâappeler Maria Magdalena Apron, comme elle vient de le faire ici sous serment. Nous avons effectué une vérification. Aucune Maria Magdalena Apron nâest née le 10 octobre 1912 à Grosse Pointe Park, Detroit. Le FBI est formel : ce passeport est un faux. Un faux dâexcellente qualité, mais un faux tout de même.
On avait beau ne pas être nombreux dans la salle, chacun y alla de son exclamation. Cohn pointa le passeport sur la femme et cria dans le micro pour se faire entendre.
Wood fit tomber le maillet deux ou trois fois afin de rétablir le silence. Jâavais une bonne place, sur le côté gauche de la femme, suffisamment de biais pour voir son visage. Le bleu de ses yeux sâassombrit. La poudre de son maquillage ne masquait plus ni ses rides ni sa pâleur. Jâimaginais ce quâelle ressentait. Ãa devait faire une drôle dâimpression de se rendre compte que sa vie était entre les mains dâun gosse à tête de gigolo. Cohn adorait jouer de cette surprise. Avant que le silence revienne, il demanda :
â Quâest-ce que vous faites dans notre pays ? Qui êtes-vous ?
Il réussissait sa scène. Les sénateurs et mes collègues jubilaient déjà à lâidée des gros titres du lendemain. Cependant lâinconnue resta de marbre. Ses doigts pressaient un mouchoir blanc sur la table.
Wood abattit encore son maillet.
â Vous devez répondre aux questions quâon vous pose, Miss je-ne-sais-pas-qui. à la minute même, vous êtes en état de parjure pour avoir déclaré un faux nom, et la Commission peut réclamer dès à présent votre arrestationâ¦
On se doutait quâil nâen ferait rien. Tout le monde était trop excité de connaître la suite. Cohn avait encore de quoi surprendre. Il agita de nouveau le passeport.
â à la demande du cabinet du procureur, le FBI a mené des recherches sur ce document. Son numéro correspond à un lot de quatre passeports « en blanc » établis par lâOSS pour lâun de ses agents. Ce qui explique sa qualité⦠Pour mémoire, je rappelle à la Commission que lâOffice of Strategic Services a été chargé du renseignement sur les activités dâespionnage de lâURSS jusquâen 1947 et la création de la CIA. Il y a huit ans, en 1943, un agent de lâOSS a été infiltré chez Staline. Il sâappelait Michael David Apron.
Wood nâeut pas à faire résonner son maillet. Pendant une poignée de secondes,
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