L'Insoumise du Roi-Soleil
plus... Et le sujet d’un bon apprentissage.
— L’endroit est donc maudit ?
Il partit alors dans un grand éclat de rire :
— C’est tout le contraire ! La grotte est un abri charmant, surtout les jours d’été. Il y fait bon. Il s’y cache une source d’eau douce et claire qui apaise la soif. J’y suis allé moult fois, organisant ma halte pour y faire reposer ma monture. Et vois-tu, je suis vivant !
— Mais pourquoi ce nom qui appelle la malédiction ?
— Les superstitions, ma fille... Ce contre quoi doit lutter l’honnête homme.
Et il me raconta la véritable histoire de cette grotte maudite.
— Ton grand-père aimait la vie, la nature, l’exercice qui libère le corps...
Il cherchait comment tourner ces mots.
— Souhaitez-vous dire qu’il chérissait les femmes ? l’aidai-je.
— Si tu veux, murmura-t-il.
— Autant que vous, vous les appréciez ?
— Là n’est pas le sujet.
— Alors, quel est-il ?
— Ton grand-père vénérait secrètement une jeune femme... Mais c’était avant qu’il ne se marie.
— Et les familles étaient contre leur union. C’est l’histoire de Tristan et Iseult. Je connais la suite... Une passion maudite et la mort qui peut seule réunir deux êtres déchirés par l’amour. Voilà pourquoi cette grotte est maudite.
— Le destin de ton grand-père fut-il comme tu le racontes ? sourit mon père.
— Non, murmurai-je. Ce n’est pas ainsi qu’il vécut. En fait, il se maria et eut ?
— Un fils. Moi, ton père, celui qui use sa salive à vouloir t’éduquer. Tu es loin du compte, car les deux familles bénissaient cette union future. Mais les tourtereaux étaient très jeunes. Il leur fallait attendre. Or les deux ne songeaient qu’à se retrouver pour...
— Pour faire comme le vendangeur qui est sur le tableau ?
Il jeta un regard apeuré sur sa carte au trésor.
— Ce n’est toujours pas le sujet. Vas-tu enfin cesser de m’interrompre ?
— Je vous en prie, monsieur le comte.
Il haussa les épaules et reprit :
— Pour qu’on les laisse en paix.
— Si l’amour se partage, pourquoi chercher la solitude ?
— Ils voulaient être seuls, mais ensemble... Plus tard, tu comprendras.
— Je veux apprendre tout de suite.
— Hélène, il est inutile me regarder comme cela ! Tu n’en sauras pas plus...
— Votre histoire est donc finie ?
Il sourit tendrement. Ses yeux brillaient de plaisir :
— Accepteras-tu un instant de ne plus me torturer ?
Et je promis.
— En fait, pour préserver ce havre, commença-t-il, ton grand-père inventa une légende sur la grotte. Un dragon en avait fait son refuge. Quiconque approcherait entendrait les gargouillis effroyables de son ronflement, et il serait trop tard. Dérangé dans sa sieste, le monstre bondirait pour s’emparer du curieux. Non seulement, il l’avalerait tout cru, mais recracherait ses os mêlés à sa bave. Il n’aurait pas la chance d’être mort. Il survivrait jusqu’à la fin des temps, difforme, laid, plus petit qu’un farfadet, avec pour unique occupation de servir d’esclave à son maître, le dragon.
— Comment croire en de pareilles sornettes ? criai-je, à moitié effrayée.
— La persuasion de celui qui raconte. La force et la puissance du prédicateur résident entièrement dans sa fonction. Il prédit. Donc il dit vrai. Celui qui parlait de la grotte et de son dragon était un Montbellay. Le titre venait ajouter du crédit et s’il avait été cardinal, la croyance serait venue jusqu’aux oreilles du pape. Il suffisait de nourrir cette fable avec quelques détails inspirés par les lieux pour qu’elle devienne réelle. Le ronflement du dragon ? Ce n’était que le grondement de la source dont je parlais. Pour vérifier, il suffisait d’entrer, mais c’était prendre un risque. Or peu d’entre nous ont l’esprit chevaleresque. Le dogme et ses obscurités se nourrissent du doute. Pour donner un peu d’épaisseur à ce mensonge, ton grand-père se servit encore d’anciens alignements de pierre situés à proximité de la grotte dont la construction remontait à la nuit des temps. Étaient-ce les vestiges d’un ancien temple païen ? Ils devinrent, dans son récit, l’autel d’une secte apocalyptique dont les tristes adorateurs n’étaient autres que les descendants des farfadets. Ces gnomes monstrueux s’adonnaient à des rites que le seul fait d’entendre conduisait en enfer. La légende circula, grossit, la nuit, à la faveur de la
Weitere Kostenlose Bücher