Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
désordre et les mouvements rapides annoncèrent sur-le-champ à l’œil expérimenté du capitaine qu’ils étaient occupés de quelque œuvre de violence illégale. Quelques uns se précipitaient dans le bâtiment après avoir ramassé dans la rue tout ce qui pouvait servir d’armes à leur fureur ; d’autres en sortaient, et faisaient retentir la place de leurs cris et de leurs menaces. De tous les passages ténébreux qui aboutissaient sur le marché, on en voyait sortir qui se dirigeaient vers le même point ; et un groupe de soldats attroupés sous chaque fenêtre excitaient par leurs acclamations ceux qui étaient dans l’intérieur.
Quand Polwarth eut ordonné à Shearflint d’arrêter, il entendit les cris confus de cette soldatesque, et, avant qu’il pût dans l’obscurité du soir reconnaître les parements de l’uniforme, son oreille avait distingué l’accent bien connu de Royal-Irlandais. Ce fut un éclair qui répandit tout à coup le jour de la vérité dans son esprit. Descendant de son tompung aussi promptement qu’il le put, il se fit jour à travers cette foule de soldats avec une agitation singulière qui devait naissance à des sentiments bien opposés, la soif de la vengeance d’une part, et son humanité naturelle de l’autre. Mais, sans parler du capitaine, combien ne trouve-t-on pas d’hommes qui oublient l’influence de l’humanité quand ils sont en proie à des passions plus tumultueuses et plus violentes ! Pendant le temps qu’il lui fallut pour se frayer un chemin jusqu’au grand et sombre appartement qui formait le rez-de-chaussée de cet édifice, il parvint à se monter l’esprit à un degré de colère qui ne s’accordait ni avec son caractère ni avec son rang. Il écouta même avec un plaisir inconcevable les menaces et les exécrations qui remplissaient le bâtiment ; mais enfin tout ce qu’il entendait lui fit craindre que la fureur des soldats ne mit obstacle, par trop de promptitude, à l’exécution de la moitié de son projet, la découverte de ce que Lincoln était devenu. Agissant d’après cette nouvelle impression, il repoussa les soldats avec une énergie prodigieuse, et prit une position d’où il pourrait plus facilement agir comme il le jugerait à propos.
Le peu de jour qui restait suffisait encore pour faire découvrir Job Pray, placé au milieu du magasin, sur un misérable grabat, dans une telle attitude qu’on n’aurait pu dire s’il était couché ou sur son séant. L’état dans lequel il se trouvait semblait exiger la première position, mais sa peur faisait qu’il avait essayé de prendre la seconde. Les larges taches rouges qui lui couvraient le visage, et ses yeux gonflés, annonçaient qu’indépendamment de ce qu’il était exposé à la fureur d’une soldatesque effrénée, il se trouvait attaqué de la maladie contagieuse qui exerçait depuis longtemps ses ravages dans la ville. Autour de cet être assailli en même temps par la maladie et la pauvreté, étaient rassemblés quelques soldats plus hardis que les autres, dont la plupart étaient des grenadiers de Royal-Irlandais, tandis que leurs compagnons plus timides exhalaient leur rage en jurant et en criant à une plus grande distance de l’atmosphère infectée. Les membres froissés et ensanglantés de l’idiot prouvaient qu’il avait déjà souffert plus d’un mauvais traitement ; heureusement les soldats qui le tourmentaient ainsi n’avaient pas leurs armes, sans quoi la scène n’aurait pas été si longue. Mais, malgré son état de faiblesse et en dépit des dangers qui l’entouraient de toutes parts, Job regardait ses persécuteurs avec un air stupide, et endurait avec patience les coups qu’on lui portait.
À la vue de ce spectacle révoltant, la colère de Polwarth commença à se refroidir, et au milieu de cinquante voix qui criaient en même temps, il s’efforça de faire entendre la sienne. Mais on ne fit aucune attention à sa présence, car il adressait ses remontrances à des furieux que la soif de la vengeance animait.
– Arrachez-lui ces haillons ! cria l’un ; ce n’est pas une créature humaine ; c’est un enfant du diable sous la forme d’un homme !
– Un pareil goujat avoir assassiné la fleur de l’armée anglaise ! dit un autre ; sa petite vérole est une maudite invention de Belzébuth pour le sauver de ce qu’il a si bien mérité.
– Sans doute, ajouta un troisième, qui, même dans sa colère, ne
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