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Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)

Titel: Lionel Lincoln (Le Siège de Boston) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Fenimore Cooper
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était sur son lit de mort ce que vous voyez Job en ce moment. Mais le Seigneur est juste, et je dois me soumettre à sa volonté.
    – Victime de l’injustice ! s’écria Lionel ; continuez, femme, et je pourrai encore vous bénir.
    Abigaïl poussa un gémissement si profond, que ceux qui l’entendaient crurent que c’était le dernier soupir annonçant la fin de la lutte de l’esprit de son fils, cherchant à rompre les liens du corps. Elle se laissa retomber sur son escabelle, baissa la tête sur ses genoux, et se cacha le visage avec son tablier.
    – Victime de l’injustice ! répéta Ralph avec le ton du sarcasme le plus méprisant. Quelle punition ne mérite pas une femme qui oublie ses devoirs !
    – Oui, victime de l’injustice ! s’écria Lionel, je le garantis sur ma vie ; ce que tu m’as dit est un infâme mensonge.
    Le vieillard ne répondit rien, mais ses lèvres s’agitèrent rapidement comme s’il se fût parlé à lui-même, avec un sourire de mépris et d’incrédulité.
    – Je ne sais ce qu’il peut vous avoir dit, continua Abigaïl, mais je prends le ciel à témoin que pas un mensonge ne sort maintenant de ma bouche. Les lois de la province ordonnaient que ceux qui étaient attaqués de la petite vérole fussent exclus de toute communication, et votre mère resta à ma merci et à celle d’une autre femme qui la détestait encore plus que moi.
    – Juste ciel ! et vous osâtes…
    – Non ; la maladie nous épargna ce crime. Elle mourut dans sa nouvelle difformité, et je restai, sinon dans la pureté de l’innocence, du moins avec la fraîcheur de mes charmes, et encore à l’abri du mépris et du besoin. Toute vaine que j’étais, je n’avais jamais admiré ma beauté avec la moitié du plaisir que je trouvais à contempler la laideur dégoûtante de ma rivale. Cette pensée était pour moi une source de consolation, assouvissait ma soif de vengeance ; et votre tante, qui prêtait aussi l’oreille aux conseils de l’auteur de tout mal…
    – Ne me parlez pas de ma tante, s’écria Lionel, parlez-moi de ma mère.
    – Insensible à toute autre émotion que l’intérêt, elle fut assez aveugle pour ne pas même voir qu’elle ne suivait pas la marche qui pouvait la conduire à son but et elle s’exposa à détruire un don qu’il n’appartient qu’à Dieu d’accorder. À peine l’esprit de votre vertueuse mère était-il exhalé, que nous conçûmes l’infâme projet de lui donner la mort une seconde fois en calomniant sa réputation : votre tante voulait par là déraciner du cœur de votre père tout germe d’affection pour sa malheureuse femme, et le ramener aux pieds de sa fille, l’aimable et innocente mère de celle qui est près de toi ; et moi j’étais assez folle, assez vaine, pour espérer que votre père, que mon séducteur, me rendrait enfin justice ainsi qu’à mon fils, et m’élèverait au rang de la rivale que j’avais détestée, que je détestais encore.
    – Et vous osâtes abuser mon père par cette infâme calomnie !
    – Oui, nous l’osâmes, Dieu sait que nous l’osâmes ; et quand je le vis hésiter à nous croire, je fis serment sur Évangile que c’était la vérité.
    – Et il le crut ! dit Lionel tremblant d’émotion.
    – Oui, il le crut, grâce au serment d’une femme qu’il ne croyait coupable que d’une faiblesse qu’il avait à se reprocher à lui-même. Lorsque nous vîmes l’effet terrible que ce mensonge produisit sur lui et le désespoir qui le transporta, nous crûmes avoir réussi ; mais nous ne connaissions guère la différence qui existe entre une inclination passagère et une passion profondément enracinée. Nous voulions détruire l’amour qui brûlait dans son cœur, et nous ne détruisîmes que sa raison.
    Quand Abigaïl eut cessé de parler, il régna dans la chambre un silence si profond, que le bruit du canon, qui grondait par intervalles dans l’éloignement, semblait partir de la place voisine, et qu’on entendait la respiration pénible de Job. Mais en ce moment le malheureux jeune homme cessa de respirer, comme si son esprit n’eût attendu pour s’envoler que la fin des aveux de sa mère. Polwarth laissa tomber le bras insensible de l’idiot, auquel il avait pris tant d’intérêt depuis quelques heures.
    Au milieu de cette scène de mort, le vieux Ralph se leva tout à coup, les yeux égarés, en poussant un cri terrible qui ressemblait au hurlement d’une

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