Liquidez Paris !
un signe du légionnaire, nous lui emboîtâmes le pas, laissant seuls avec les prisonniers Gunther, le soldat des sables et les ex-prisonniers français. A peine étions-nous dans la rue, que nous parvint l’écho d’un coup de feu étouffé. Nous nous retrouvâmes tous dans un bar du boulevard Saint-Michel pour conclure le marché, et Porta fourra avec une satisfaction non dissimulée une liasse de billets dans sa veste.
– Qu’avez-vous fait des types ?
Gunther et les Français se regardèrent.
– Alors ?
Gunther haussa les épaules :
– On les a fourrés dans un placard. Ils y resteront jusqu’à la fin de la guerre. A moins qu’on ne les découvre avant.
– Je n’en suis plus, dit le Vieux.
– Et moi non plus, décida Heide.
Evidemment leurs motifs étaient bien
différents : le Vieux agissait par honnêteté, Heide par crainte ; il craignait pour sa carrière.
– Comme vous voudrez, dit Porta avec indifférence. On ne force personne. Moins on est, plus il y a à partager. Si d’autres ont envie de vous suivre, qu’ils le disent.
Nous prîmes congé des trois Français qu’une rafale de mitraillette abattait, une demi-heure plus tard, au coin de la rue Malar et de la rue de l’Université. Ça venait d’une Mercédès grise aux numéros ternis qui arrivait à toute vitesse du quai d’Orsay. On tirait sur tout le monde. C’étaient les méthodes du nouveau commando de la terreur qui passait à l’action. Encore quelques heures, et c’était le S. D. Brigadenführer Grunholz qui tombait sous des balles anonymes boulevard Haussmann.
– Rentrons voir comment va Hoffmann, déclara Porta avec un sourire gourmand. Si on reste dehors trop longtemps, il croira tout simplement que la paix est signée !
Moi je quitte mes camarades et me dirige vers l’avenue Kléber où m’attend Jacqueline, la jeune femme de Normandie. Elle est triste.
– Quelle folie de meurtres ! me dit-elle avec mélancolie. Tout le monde tremble. La mort est partout. Personne n’a plus de respect pour personne !
– Ce sera bientôt fini, affirmai-je pour la rassurer. Les troupes allemandes reculent partout, et ici même, le grand état-major fait ses bagages.
Je lui racontai nos histoires de marché noir, la cruauté de Gunther qui lui fit secouer la tête avec dégoût.
– Vous vendez des armes qui doivent servir contre les vôtres. Vous assassinez pour de l’argent. Les hommes sont-ils tous devenus des déments ?
Elle se tut, me servit du whisky, alla dans la salle de bains revêtir un kimono japonais et m’apporta ensuite un dîner froid sur un plateau.
– Tes compatriotes ont tiré sur un invalide aujourd’hui, dans la rue, dit-elle en me regardant avec lassitude.
Que répondre ? On tue tellement en Europe.
– Tes camarades ne m’aiment pas, continua-t-elle. Crois-tu qu’ils me tueraient aussi ? Ils me détestent, je l’ai vu dans leurs yeux chez « Veste Rouge ».
– Mais pourquoi te tueraient-ils ?
Jacqueline leva un sourcil :
– Parce que tu es amoureux et les gens amoureux sont dangereux.
Je regarde pensivement son corps mince sous la soie dorée. Ses yeux sont un peu voilés d’une légère ivresse ; elle se pencha en arrière sur le canapé, allongea ses longues jambes et repoussa le plateau.
– Saoulons-nous ! dit-elle en riant.
Elle m’embrasse, je la serre contre moi.
– Je t’aime Sven comprends-tu, je t’aime ? Ils m’ont menacée parce que tu venais ici.
– Qui t’a menacée ?
Un de ses doigts toucha mes lèvres :
– N’y pensons pas ce soir, dit-elle en se serrant davantage contre moi.
Mes mains glissèrent sur son corps ; je retirai son kimono et laissai errer mes lèvres sur sa peau ambrée.
Elle frémit :
– Chéri ! Si seulement tu étais français ! Je déteste les Allemands. Et toi, est-ce que tu détestes les Français ?
– Je ne hais personne.
Lorsque nous reprîmes conscience, la nuit était presque tombée. Jacqueline chercha ses cigarettes mais le paquet était vide.
– Il n’y a plus de cigarettes ?
– Je vais en chercher, on trouve bien un marché noir quelque part.
– En t’attendant, je ferai du café, dit-elle toute joyeuse en courant nue dans la cuisine.
Un marché noir, ça se trouvait toujours. J’achetai les cigarettes et revins avenue Kléber pour me heurter dans la porte cochère à deux jeunes gens qui regardèrent avec inquiétude mon uniforme noir.
Ils prirent leurs
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