Liquidez Paris !
jambes à leur cou le long de l’avenue déserte, mais je n’y prêtai aucune attention, trop pressé de retrouver Jacqueline. L’escalier fut monté quatre à quatre et j’allais sonner, lorsque je m’aperçus que la porte était entrouverte. Curieuse chose. Jacqueline, elle aussi, devait m’attendre avec impatience. J’avais la permission de la nuit, une grande nuit merveilleuse, et demain, demain, la guerre serait presque finie !
– Chérie ! J’ai cinq paquets decigarettes achetés à un gamin.
Silence. Une odeur de café qui a bouilli. Par terre, une forme dans une position bizarrement recroquevillée.
– Jacqueline !
Je me penche vers elle. Quelque chose poisse mes mains. J’allume. D’une oreille à l’autre, sa gorge n’est qu’une immense plaie, ses yeux fixes regardent la lampe, un billet est posé sur sa poitrine :
« COLLABO »
Je vide la bouteille d’alcool à moitié pleine, je resserre mon baudrier qui porte les lourds revolvers de l’armée et vérifie s’ils sont chargés. Que ceux qui ont tué Jacqueline se recommandent à Dieu si je les retrouve. Doucement, j’ai refermé la porte derrière moi ; j’entrai chez la concierge et saisis la vieille femme au col.
– Qui est-ce qui est venu tout à l’heure ?
– Personne monsieur le soldat, il n’est venu personne.
Je la rejette. Elle grelotte de terreur. Tout Paris tremble. Dans l’avenue Kléber déserte se promène un agent de police.
Ailleurs le même soir, c’est la Libération qui commence.
Un enfant rentre à la maison. Il est tard, il se dépêche mais le film était si drôle ! Il en rit encore, tout en courant pour ne pas inquiéter son père qu’il aperçoit, par le fenêtre, penché sur un livre à la lueur d’une lampe. Il n’y a plus d’électricité.
– Papa ! – C’est son meilleur ami. –
Excusez mon retard mais j’ai tellement ri !
Et il bavarde comme une pie pendant que son père prépare le repas du soir en caressant de temps en temps la tête de son fils. Deux œufs pour l’enfant et du lait, une denrée très rare.
– J’ai deux morceaux de pain allemand, du pain noir et un tout petit peu de pudding. Ça te suffira-t-il ?
– Bien sûr ! Je n’ai déjà plus faim. Tu sais mon ami Jean, celui dont le père est dans la Résistance ? Il sait tout. Il dit que si on a très faim, il faut boire beaucoup d’eau et aussi mâcher du papier, alors on sent moins la faim.
Le père regarde l’enfant manger. Depuis deux jours, lui-même n’a rien mangé. Pourvu que le gosse ait ce qu’il lui faut… Ça ne peut plus durer bien longtemps maintenant avant l’arrivée des libérateurs. On dit que deux divisions blindées sont en route.
– Vous avez beaucoup de travail à la fabrique ? On a mis de l’ordre depuis le sabotage ?
Oui mais quel fouillis ! Et puis hélas il y a eu plus de vingt tués ! Je venais de sortir de l’atelier de dessin quand tout a sauté.
– Toi, il ne t’arrivera rien, c’est ce que dit mon autre copain Raoul. Son père à survécu à quatre sabotages, et une fois, il y a eu plus de cent morts. Hier, ils ont tué un indicateur dans le Boul’Mich. Deux à bicyclette qui sont arrivés à toute vitesse. Le mouchard a fait quatre culbutes et les deux ont filé. Raoul dit que c’étaient des garçons comme nous, mais aujourd’hui, le prof a fait un discours. Il a dit : « Vous autres gamins, vous devez rentrer tout droit chez vous et ne vous mêler de rien. » Tous les profs ont peur des Boches, mais toi pas ! Je suis le seul en classe dont le père a eu la croix de guerre avec trois palmes.
Tu penses si je suis fier ! Tu sais aussi ? C’est plein de hussards noirs en ce moment dans Paris, il paraît que les Américains vont arriver, c’est ce que dit Raoul. Ils ont une peur bleue. Dimanche, y a un bistrot qui a sauté et des quantités de Boches sont morts. Il y avait du sang partout, du sang boche. Papa, demain je vais brosser ton uniforme, les Américains seront bientôt ici avec des milliers de chars !
– Oui bientôt… Mais ça a été long mon petit, bien long. Viens, allons nous coucher.
La chaleur de ce mois d’août est oppressante. A demi somnolent, l’enfant entend son père éteindre la lampe et rentrer chez lui. Soudain, une explosion. Un éclair aveuglant ! Il est jeté à bas de son lit. Poussière et flammes… Il crie, se débat sous des gravats, du verre pilé. Il crie avec désespoir. On dégage
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