L'oeil de Dieu
un poteau tordu et de guingois. La végétation avait envahi les ruines, et, derrière les champs communaux, on apercevait la petite église – guère plus vaste qu’une chapelle – avec sa nef centrale à l’air libre maintenant, et son petit clocher délabré d’où s’envolaient les corbeaux et les corneilles qui y nichaient. Quand Colum, Kathryn et Thomasina s’approchèrent, ces oiseaux tourbillonnèrent en croassant au-dessus de leur tête, furieux que l’on vienne ainsi troubler leur tranquillité.
— Pourquoi pareille désolation ? murmura Colum.
— Mon grand-père m’a raconté l’histoire de la grande mort, dit Thomasina en essuyant la sueur à son front. Bien pire que le mal de la sueur. La grande mort a anéanti des villes entières. On dit que deux personnes sur trois mouraient.
— Thomasina dit vrai, renchérit Kathryn, tenant son cheval par la bride. On trouve par tout le pays des villages abandonnés comme celui-ci.
Elle frissonna.
— Ils sont le repaire des spectres et des fantômes.
— Quelqu’un est venu ici, il n’y a pas longtemps, affirma soudain Colum.
Il s’accroupit et souleva l’herbe du bout de sa dague.
— On a entravé des chevaux ici : le crottin est sec et s’effrite déjà.
Ils errèrent dans le village. Kathryn s’efforçait d’ignorer les frissons qui lui parcouraient le dos ; elle avait l’impression d’être observée. Il lui semblait que les fantômes de ceux qui avaient vécu ici n’étaient pas contents d’être ainsi dérangés. Le silence même de l’endroit était oppressant. Parfois, la jeune femme croyait entendre des bruits de pas, ou des coups frappés derrière les murs ; ou encore des portes qui grinçaient. Mais ce n’était que les effets de son imagination enfiévrée, dans l’atmosphère étrange et silencieuse des lieux.
Colum et Thomasina étaient également impressionnés. De temps en temps, ils rompaient le silence pour annoncer qu’ils avaient trouvé la trace de chevaux, indiquant très certainement que Brandon et ses amis étaient venus ici.
— Quelle raison les a poussés à se rendre dans ce village ? demanda Colum.
Kathryn, qui se tenait près du moulin abandonné, répondit :
— Je le comprends. Ne le sentez-vous pas, Colum ? On dirait que ces lieux sont hantés, oubliés. Ils constituent une cachette parfaite.
Elle se mordit la lèvre et leva les yeux sur les corbeaux qui tournaient autour du clocher de la vieille église.
— Je pense que l’un des compagnons de Brandon connaissait ce village. Dieu seul sait ce qui s’est passé ici !
Ils poursuivirent leurs recherches, pénétrant de temps en temps dans une maison abandonnée, quand, soudain, Colum poussa une exclamation.
— Venez voir ici, Kathryn !
Elle abandonna son cheval pour franchir un porche en ruine. Colum lui indiqua un tas de cendres noires au fond de ce qui avait été une pièce, ainsi qu’un petit tas de crottin, non loin.
— Assurément, Brandon est venu ici, mais il semble qu’il n’ait pas été le seul : quelqu’un d’autre est passé tout récemment.
Colum avança et remua le crottin du bout de sa botte.
— Il est plus frais, plus récent, déclara-t-il.
Ils reprirent leurs fouilles et découvrirent d’autres indications qu’un cavalier était passé là peu de temps auparavant.
— Deux cavaliers, conclut Colum. À deux moments différents. Mais que diable cherchaient-ils ?
— Il ne nous reste plus qu’à visiter l’église, répondit Kathryn. Nous avons fouillé partout ailleurs.
Elle jeta un regard à Thomasina qui s’était affalée sur un muret à demi démoli, et ajouta :
— Nous en profiterons pour manger un morceau.
Ils attachèrent leurs chevaux dans ce qui avait été le cimetière de l’église, avant d’entrer dans le clocher par un trou béant. De là, ils passèrent dans le petit choeur et observèrent la nef.
L’église était lugubre et vide, et le toit avait disparu. Les murs grisâtres étaient couverts de lichen et de mousse, et les piliers, qui séparaient la nef des étroits transepts, s’effritaient, sous l’effet de la pluie et du vent. Kathryn examina le choeur. L’autel, dressé au fond de l’abside, était très vieux. La jeune femme remarqua une petite niche dans le mur où l’on rangeait autrefois les burettes pour la célébration de la messe, ainsi que les calices et ciboires. Au-dessus se trouvait un vieux tableau maintenant presque
Weitere Kostenlose Bücher