L'oeil de Dieu
Kathryn ?
— Oh oui, souffla la jeune femme, fixant son compagnon d’un regard morne.
— Je ne parlais pas de ce soir, reprit hâtivement Colum. Avant mon arrivée à Cantorbéry, votre vie était… enfin, elle était calme. Vous aviez votre pratique, vos ambitions.
Kathryn se leva.
— Certes, Colum, tout était paisible.
Elle sourit, prit son manteau, puis elle ajouta :
— Mais, savez-vous, un cimetière aussi est paisible.
Son sourire s’élargit, et elle sortit de la cuisine sans laisser à Colum le temps de trouver une repartie appropriée.
Une fois dans sa chambre, elle s’interrogea sur la question que lui avait posée son compagnon. Toute à ses pensées, elle s’assit sur le lit pour défaire les rubans qui laçaient son corsage.
« Et si je n’avais jamais connu Colum ? se disait-elle. Je ne me préoccuperais ni de l’OEil de Dieu, ni des Chiens d’Ulster, ni de tous ces meurtres. Mais qu’est-ce qui remplirait ma vie ? Alexander Wyville continuerait à me hanter, et je serais ballottée comme une feuille au gré du courant. » Elle se mordit la lèvre. La violence faisait partie intégrante de sa vie. C’est Alexander Wyville qui l’y avait introduite, et maintenant elle devait aller jusqu’au bout.
Kathryn ferma les paupières tout en songeant à son mari : elle revoyait son visage, le jour de leurs noces, et elle revoyait aussi ce même visage défiguré par la fureur, quand Alexander avait bu.
— Je ne veux plus de toi, murmura-t-elle. Que Dieu me pardonne, peu m’importe que tu sois mort ou vivant ! Si tu reviens, j’utiliserai tous les moyens de pression, je me servirai même de l’influence de Colum pour obtenir l’annulation de notre mariage par un tribunal ecclésiastique.
Kathryn acheva de se déshabiller, se lava avec une éponge et un petit morceau de savon de Castille, se sécha soigneusement puis enfila sa chemise de nuit. Thomasina entra dans la chambre pour glisser une bassinoire entre les draps du lit, et elle tendit à sa maîtresse une coupe de lait chaud parfumé à la noix muscade. Kathryn la laissa s’occuper d’elle et lui promit solennellement qu’elle serait autorisée à l’accompagner avec Colum, le lendemain matin. Sur quoi, elle vida sa coupe de lait, éteignit les chandelles, se glissa dans le lit et remonta les couvertures jusque sur sa tête, comme elle le faisait lorsqu’elle était petite fille. Elle s’étira, bien au chaud dans son lit, et comme elle avait sommeil, elle laissa son esprit vagabonder, cherchant à se rappeler ce détail qui l’avait frappée dans la cellule de Faunte. Brusquement, l’image du Vertueux s’imposa à son esprit, et la jeune femme se souvint des vers de Chaucer, dans « Le conte du Pardonneur » :
La mort est-elle si dangereuse quand on la rencontre ?
Je la chercherai sur la route et dans la rue.
— Quand la verrai-je de nouveau ? murmura Kathryn.
Elle ferma les yeux et sombra dans un sommeil sans rêve.
Ils partirent tôt, le lendemain matin. Thomasina avait préparé des paniers avec du pain, du fromage et de la viande séchée, ainsi qu’un flacon de vin. Elle laissa à une Agnes tout ensommeillée des instructions détaillées, et promit à Wuf les pires punitions s’il ne se tenait pas bien. Kathryn, de son côté, expliqua à Agnes que si des malades gravement atteints se présentaient, il fallait les envoyer au docteur Chaddedon, et que les autres devraient attendre son retour. Elle ajouta :
— Dis à Wuf d’aller rendre visite aux deux vieilles dames de Jewry Lane. Elles devraient être rétablies, mais il est prudent de s’en assurer.
Colum, qu’une bonne nuit de sommeil avait reposé, partit préparer et seller les chevaux. Il était armé, avec sa ceinture de guerre, et une arbalète qu’il portait accrochée à sa selle.
— Et Kingsmead ? demanda Kathryn.
— Oh, Holbech est un robuste gaillard et il est capable de me remplacer. De toute façon, au manoir, tout le monde ne parle que de la visite de Gloucester.
Colum sourit.
— Megan est contente parce qu’ainsi on s’intéresse moins à elle.
— Le duc est-il reparti ?
— Oui, comme on pouvait s’y attendre d’un homme aussi impitoyable. Il était venu pour tuer Faunte, et il a accompli la tâche que lui avait confiée son cher frère. Avant mon départ du Guildhall, il m’a ordonné de lui rapporter à Londres, dans la semaine, les progrès de nos démarches pour retrouver l’OEil de
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