L'oeil de Dieu
c’est un poison, mais aussi parce qu’elle ressemble beaucoup au persil et au fenouil. Si on les confond, l’erreur peut se révéler fatale. Il existe en outre différentes variétés de ciguë que l’on trouve le long des haies, ou dans les fossés et en lisière de forêt. La ciguë a un goût amer désagréable, ainsi qu’une odeur repoussante, mais que l’on camoufle en diluant le poison dans du vin.
— Vous pensez qu’on a fait boire de la ciguë à Brandon ?
— Les symptômes qu’il présentait semblent l’indiquer. Le prisonnier avait une forte fièvre, il faiblissait, et son coeur battait de plus en plus vite. Ceux qui ont absorbé de la ciguë s’endorment d’un sommeil très profond que l’on appelle coma, et ils finissent par mourir.
Kathryn fit tourner sa coupe de vin entre ses doigts. Colum la regardait à la dérobée, s’efforçant de contrôler la peur qu’elle lui inspirait soudain. C’est qu’elle était dangereuse ! Si lui-même donnait la mort avec une épée ou une dague, elle pouvait tuer avec des plantes à l’aspect inoffensif.
— Je me souviens d’un proverbe grec, murmura l’Irlandais : « J’étais en bonne santé jusqu’à ce que j’aille consulter un médecin. » Vous me faites peur, Maîtresse Swinbrooke.
Kathryn haussa les épaules.
— La plupart des gens redoutent les médecins. C’est la connaissance des plantes qui est dangereuse, surtout celles comme la ciguë. J’ai un jour soigné un enfant qui en avait mangé. Il présentait les mêmes symptômes que Brandon, et je l’ai cru mort.
— D’après vous, quelqu’un, au château, a fait absorber de la ciguë à Brandon ? Celui-ci est tombé dans un profond coma. Le prêtre lui a donné les derniers sacrements puis, le croyant mort, l’a enterré à la hâte. Et il s’est réveillé dans sa tombe ?
— C’est ce que je pense, oui, répondit Kathryn. Quand le pauvre homme sera revenu à lui, il était dans son cercueil, faible, et il manquait d’air. Il s’est débattu pour se libérer. Il est peut-être resté conscient une heure avant de mourir asphyxié.
Colum frappa sur la table.
— Mais qui a fait cela et pourquoi ? s’exclama-t-il.
— Attendez-moi un instant, dit Kathryn.
Elle se leva pour passer dans son cabinet d’écriture d’où elle rapporta un vieux rouleau de parchemin taché de graisse.
Elle débarrassa la table pour dérouler la grossière carte du comté de Kent qui avait appartenu à son père.
— Essayons de suivre la trace de Brandon quand il s’est enfui de Barnet, dit-elle.
Elle indiqua du doigt Cantorbéry et les routes au nord de la ville.
— Nous savons maintenant que, après la défaite de Warwick à Barnet, Brandon a pris la direction de Cantorbéry. Durant un temps, lui et ses compagnons se sont cachés dans la forêt de Blean, où ils ont rencontré Faunte et ses hommes. Plus tard, ils se sont rendus à Sellingham, un village déserté.
Kathryn haussa les épaules.
— Après cela, nous perdons leur trace. Moresby est tué, peut-être par des hors-la-loi, Brandon est fait prisonnier, et les autres disparaissent.
— Dans ces conditions, comment poursuivre nos recherches, désormais ? demanda Colum.
— Plutôt que de retourner au château de Cantorbéry, pourquoi ne pas aller fouiller ce village déserté ? Peut-être Brandon y a-t-il caché l’OEil de Dieu ?
Kathryn roula la carte.
— De toute façon, ce sera mieux que de ne rien faire.
Thomasina apparut sur le seuil de la dépense et, pointant un doigt sur Colum, déclara :
— S’il part avec vous, je pars aussi !
— Et Wuf ? Y as-tu pensé ?
— Agnes est là, elle le surveillera. Mais je ne vous laisserai pas arpenter la campagne seule avec un vaurien de soldat irlandais, Maîtresse.
— Oui, il vaut mieux que vous veniez, j’en conviens, admit doucement l’Irlandais. Votre maîtresse comme moi avons besoin que l’on veille sur nous.
Thomasina le transperça du regard avant de s’esquiver. Colum se frotta la joue.
— Nous devrons partir aux premières lueurs de l’aube. Qu’adviendra-t-il de vos patients ?
— Ils attendront. Il faut éclaircir cette histoire d’une façon ou d’une autre, Colum. Soit nous découvrirons la vérité, soit nous irons dire à Monsieur le duc de Gloucester que le mystère demeure entier et que personne, ni le roi ni un autre, ne récupérera jamais l’OEil de Dieu.
— Vous êtes lasse,
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