Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
Vom Netzwerk:
alexandrins par Fulgencio Capón, jeune auteur porté aux nues par la
critique unanime. Tout en se livrant à cette tâche, Fermín lançait des regards
furtifs et clignait de l'œil à l'instar du célèbre diable boiteux.
    – Vous avez les oreilles rouges comme des piments,
Daniel.
    – Ça doit être à force de vous entendre dire des
sottises.
    – Ou la fièvre. Quand revoyez-vous la demoiselle ?
    – Ça ne vous regarde pas.
    – Vous avez tort On ne peut plus plaisanter ? C’est
vrai, la plaisanterie est un dangereux vasodilatateur.
    – Allez vous faire voir.
    Comme d'habitude depuis quelque temps, l'après-midi fut
lente et morose. Un client à la voix aussi grise que sa gabardine entra pour
demander un livre de Zorrilla, persuadé qu'il s'agissait d'une chronique des
aventures polissonnes d'une fille légère dans le Madrid des empereurs
d'Autriche. Mon père ne sut que lui répondre, mais Fermín vint à la rescousse,
fort courtoisement pour une fois.
    – Vous faites erreur, monsieur. Zorrilla est un
dramaturge. Ce qui vous intéresse probablement, c'est Don Juan. Il y a dedans beaucoup d'histoires de jupons et, en
plus, le héros a une liaison avec une nonne.
    – Je l'achète.
     
     
    L'après-midi s'achevait quand je pris le métro qui me
laissa au bas de l'avenue du Tibidabo. La silhouette du tramway bleu
s'éloignait dans un brouillard violacé. Je décidai de ne pas attendre son
retour et fis le chemin à pied dans la nuit tombante. J'aperçus bientôt les
contours de «L'Ange de brume». Je sortis la clef que m'avait donnée Bea et
ouvris la petite porte découpée dans la grille. J'entrai dans le jardin et
laissai la porte apparemment fermée mais en réalité entrouverte, pour permettre
à Bea de s'y glisser. J'étais arrivé volontaire en avance. Je savais que Bea ne
serait pas là avant une demi-heure, sinon plus. Je voulais être seul pour
sentir l’atmosphère de la maison et l'explorer avant que Bea ne vienne la transfigurer
par sa présence. Je m'arrêtai un instant pour contempler la fontaine et la main
de l'ange qui émergeait de l'eau teintée de pourpre. L'index, accusateur,
semblait effilé comme poignard. Je m'approchai du bassin. Le visage sculpté,
sans regard ni âme, frissonnait sous la sous la surface.
    Je gravis les marches qui menaient à l'entrée. La porte
principale était entrebâillée. Je fus soudain inquiet, car je croyais l'avoir
refermée derrière moi l'autre nuit. J'examinai la serrure, qui ne semblait pas
avoir été forcée. Je poussai doucement la porte vers l'intérieur, et le souffle
de la maison me caressa le visage, une exhalaison de bois brûlé, de moisissure
et de fleurs fanées. Je sortis la boîte d'allumettes que j'avais prise avant de
quitter la librairie et m'agenouillai pour allumer la première des bougies
laissées par Bea. Une flammèche cuivrée jaillit d'entre mes mains et dévoila
les formes dansantes des murs parcourus de larmes d'humidité, des plafonds
effondrés et des portes délabrées.
    J'allai à la suivante et l'allumai à son tour,
Lentement, comme si j'observais un rituel, je remontai la file de bougies en
créant au fur et à mesure un halo de lumière ambrée qui flottait dans l'air
comme use toile d'araignée tendue entre des rideaux d'obscurité impénétrable.
Mon parcours s'acheva devant la cheminée de la bibliothèque, près des
couvertures qui étaient restées par terre, maculées de cendre. Je m'assis là,
faisant face à la salle. Je m'étais attendu au silence, mais la maison
respirait en produisant mille bruits. Grincements de la charpente, frôlements
du vent dans les tuiles du toit, craquements dans les murs, sous le sol, se
déplaçant dans les cloisons.
    Trente minutes devaient s'être écoulées quand je me
rendis compte que le froid et la pénombre commençaient à m'endormir. Je me
levai et parcourus la salle pour me réchauffer. Il ne restait dans le foyer que
les débris d'une bûche, et je me dis que, le temps que Bea arrive, la
température à l'intérieur de la villa aurait suffisamment baissé pour m'inspirer
pudeur et chasteté en effaçant toutes les visions fiévreuses qui m'avaient
habité des jours durant. Désireux de me livrer à une occupation plus concrète
et moins poétique que la contemplation des ruines du temps, je décidai
d'explorer la villa à la recherche d'une matière inflammable susceptible de
redonner un peu de chaleur à la salle et à ces deux couvertures qui, pour le
moment,

Weitere Kostenlose Bücher