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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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d'ensemble...
    – Vous pouvez parler, saint Jean Bouche d'Or.
    – La paix, dit Barceló. Ne nous énervons pas et tenons-nous-en aux
faits. Quelque chose, dans ce que m'a raconté Daniel, m'a paru plus étrange
encore que le reste, s'il se peut : non à cause du caractère rocambolesque
de l'histoire, mais plutôt d'un détail essentiel et apparemment banal.
    – Éclairez-nous, monsieur Gustavo.
    – Eh bien voici : le père de Carax a refusé de reconnaître le cadavre
de son fils en prétendant qu'il n'avait pas d'enfant Je trouve ça très
étonnant. Quasiment contre nature. Aucun père au monde ne peut faire ça. Peu
importe la mésentente qui pouvait régner entre eux. La mort a toujours cet
effet : elle ne laisse personne à l'abri de la sensiblerie. Face à un
cercueil, tout le monde devient bon et ne voit plus que ce qu'il a envie de
voir.
    – Ah ! la belle phrase, monsieur Gustavo, s'exclama Fermín,
flatteur. Ça ne vous gêne pas si je l'ajoute à mon répertoire ?
    – Il y a toujours des exceptions, objectai-je. Nous savons que M.
Fortuny était un peu spécial.
    – Tout ce que nous savons de lui, ce sont des commérages de troisième
main, trancha Barceló. Quand tout un chacun s'acharne à présenter un individu
comme un monstre, de deux choses l’une : ou c'était un saint, ou on ne nous dit pas tout
    – On dirait que vous avez pris le chapelier en sympathie, dit Fermín.
    – Avec tout le respect que je dois à la profession de concierge, quand
la réputation du personnage en question tient à ce genre de témoignage, mon
premier sentiment est la méfiance.
    – Si nous appliquons ce principe, nous ne pouvons être sûrs
de personne. Tout ce que nous savons est, et vous le dites bien, de troisième
ou de quatrième main. Avec ou sans concierge.
    – Méfie-toi de celui qui fait confiance à tout le monde,
fit remarquer Barceló.
    – Quel esprit vous avez, monsieur Gustavo, s'exclama
Fermín. De vraies perles de culture. Si seulement j'avais votre clairvoyance !
    – La seule chose qui soit réellement claire dans tout
ça, c'est que vous avez besoin de mon aide, logistique et probablement
pécuniaire, si vous prétendez résoudre cet embrouillamini avant que
l'inspecteur Fumero ne vous réserve une suite dans le pénitencier de San Sebas.
Fermín, je peux considérer que vous êtes avec moi ?
    – J'obéis à Daniel. S'il l'ordonne, je ferai même
l'Enfant Jésus dans la crèche.
    – Et toi, Daniel, qu'en dis-tu ?
    – Vous avez déjà tout dit. Que proposez-vous ?
    – Voici mon plan : dès que Fermín sera rétabli, Daniel,
tu iras voir en toute innocence Mme Nuria Monfort, et tu abattras ton jeu. Tu
lui feras comprendre que tu sais qu'elle a menti et qu'elle te cache quelque
chose, que ce soit beaucoup ou peu, et on verra.
    – On verra quoi ?
    – On verra comment elle réagira. Elle ne te dira rien
naturellement. Ou elle te sortira un nouveau mensonge, l'important est de
planter la banderille, et, pour prolonger la comparaison tauromachique, de voir
où nous mènera le taureau – ou plutôt la génisse. Et c'est là que vous, Fermín,
vous faites votre entrée. Pendant que Daniel pendra sonnette au chat, vous surveillerez
discrètement la suspecte, et vous attendrez qu'elle morde à l'hameçon. Dès
qu’elle l’aura fait, vous la suivrez.
    – A condition qu'elle aille quelque part, protestai-je.
    – Homme de peu de foi. Elle ira. Tôt ou tard. Et quelque
chose me dit que ce sera plus tôt que tard. C'est la base de la psychologie
féminine.
    – Et vous, pendant ce temps, que comptez-vous faire,
docteur Freud ? demandai-je.
    – Ça, c'est mon affaire : vous le saurez en temps
utile. Et vous me remercierez.
    Je cherchai un soutien dans le regard de Fermín, mais le
pauvre s'était endormi en tenant Bernarda enlacée, tandis que Barceló
poursuivait son discours triomphal. Sa tête était tombée sur le côté et son
sourire bienheureux laissait couler de la bave sur sa poitrine. Bernarda émettait
des ronflements profonds et caverneux.
    – Pourvu que celui-là ne lui fasse pas de mal, soupira
Barceló.
    – Fermín est un grand bonhomme, affirmai-je.
    – Il doit l'être, parce qu'à mon avis ce n'est pas avec
cette tronche qu'il a pu faire sa conquête. Bon, partons.
    Nous éteignîmes la lumière et quittâmes la pièce sur la
pointe des pieds, en fermant la porte pour laisser les deux tourtereaux à leur
repos. Il me sembla que le premier souffle de l'aube filtrait

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