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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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de votre mari,
qu'il n'est pas en prison, et naturellement pas non plus ici. Voilà ce que je
comprends.
    Nuria hocha la tête.
    – Va-t'en, Daniel.
Quitte cette maison et ne reviens plus. Tu as déjà fait assez de mal comme ça.
    Je gagnai la porte en
la laissant dans le salon. Je m'arrêtai à mi-chemin et revins sur mes pas.
Nuria Monfort s'était effondrée par terre, contre le mur. Toute la magie de sa
présence s'était envolée.
    Je traversai la place
San Felipe Neri, le regard au sol. Je traînais avec moi toute la douleur que
j'avais cueillie sur les lèvres de cette femme, une douleur dont je me sentais
maintenant complice et instrument, sans arriver à en comprendre le comment ni
le pourquoi. « Tu ne sais pas ce que m'as fait, Daniel. » Je voulais
seulement m'éloigner de ce lieu. En passant devant l'église, c'est à peine si
je remarquai, devant le porche, le prêtre maigre au nez pointu qui esquissait
des gestes de bénédiction en tenant à la main un missel et un chapelet.

 
     
     
     
     
     
     
    26
     
     
     
     
    Je rentrai à la
librairie avec trois quarts d'heure de retard. En me voyant, mon père fronça
les sourcils d'un air réprobateur et regarda la pendule.
    – En voilà une
heure ! Vous saviez que je dois aller voir un client à San Cugat, et vous
me laissez tout seul.
    – Fermín n'est pas
encore de retour ?
    Mon père fît signe que
non avec toute l'énergie qu'il pouvait déployer quand il était de mauvaise
humeur.
    – En tout cas, tu as
reçu une lettre. Je te l'ai mise à côté de la caisse.
    – Papa, pardonne-moi,
mais...
    Il me fit signe de lui
épargner mes excuses, prit sa gabardine et son chapeau, et sortit sans dire au
revoir. Le connaissant, je me dis que sa colère aurait disparu avant qu'il soit
arrivé à la gare. Ce qui me surprenait, c'était l'absence de Fermín. Je l'avais
vu déguisé en curé de comédie sur la place San Felipe Neri, attendant la sortie précipitée
de Nuria Monfort qui le mènerait jusqu'au grand secret de l'intrigue. Ma
confiance en cette stratégie avait été réduite en cendres, et j'imaginais que
si Nuria Monfort sortait réellement, elle ne conduirait Fermín qu'àla
pharmacie ou à la boulangerie. Un fameux plan. J'allai à la caisse jeter un
coup d'œil à la lettre dont mon père m'avait parlé. L'enveloppe était blanche
et rectangulaire, comme une pierre tombale, avec, en guise de croix, une
mention qui parvint à pulvériser le peu de vaillance que je conservais encore
pour affronter la fin de la journée.
     
     
    GOUVERNEMENT MILITAIRE
    DE BARCELONE
    BUREAU DU RECRUTEMENT
     
     
    – Alléluia !
murmurai-je.
    Je n'avais pas besoin
d'ouvrir l'enveloppe pour ce qu'elle contenait, mais je le fis pourtant, ne
serait-ce que pour boire la coupe jusqu'à la lie. La lettre était succincte,
deux paragraphes de cette prose, mi-proclamation enflammée mi-air d'opérette,
qui caractérise le genre épistolaire militaire. On m'y annonçait que, dans un
délai de deux mois, le dénommé Daniel Sempere Martin aurait l'honneur et la
fierté d'accomplir le devoir le plus sacré et le plus édifiant que la vie
offrait à un Celtibérique de sexe mâle : servir la patrie et revêtir
l'uniforme de la croisade nationale pour la défense du bastion spirituel de
l'Occident. Du moins étais-je sûr que Firmin serait capable de mettre en avant
la côté humoristique de la chose et de nous faire rire un moment en nous
régalant de sa version en vers de La Défaite finale de la collusion
judéo-maçonnique. Deux mois. Huit semaines. Soixante jours. Je pouvais
toujours diviser le temps en allant jusqu'aux secondes et obtenir ainsi un
chiffre kilométrique. Il me restait cinq millions cent quatre-vingt-quatre
mille secondes de liberté. Peut-être que M. Federico, dont mon père disait
qu'il était capable de fabriquer une Volkswagen, pourrait me confectionner une
horloge munie de freins à disques. Peut-être que quelqu'un m'expliquerait le
moyen d'arranger les choses afin que je ne perde pas Bea pour toujours. En
entendant le carillon de la porte, je crus que Fermín était revenu, finalement
convaincu que nos velléités de détectives ne valaient pas tripette.
    – Eh bien ! C'est
l'héritier qui garde le château, comme il se doit ? Mais quelle triste
figure ! J'aimerais voir un sourire éclairer ce visage de carême, mon
garçon, dit M. Gustavo Barceló, affublé d'un manteau en poil de chameau et
brandissant comme une crosse de

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