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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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dit qu'il existait des choses pires que la mort. Il m'a expliqué
qu'il ne tuait jamais une balance. Il la laissait pourrir sur pied.
    – Fermín, vous n'êtes
pas une balance. N'importe qui aurait fait pareil à votre place. Vous êtes mon
meilleur ami.
    – Je ne mérite pas
votre amitié, Daniel. Vous et votre père m'avez sauvé la vie, et elle vous
appartient. Tout ce que je peux faire pour vous, je le ferai. Le jour où l'avez
sorti de la rue, Fermín Romero de Torres est né une seconde fois.
    – Ce n'est pas votre
vrai nom, n'est-ce pas ?
    Fermín hocha la tête.
    – Ce nom-là, je l'ai
lu sur une affiche de corrida. L'autre est enterré. L'homme qui vivait dans sa
peau est mort, Daniel. Il revient parfois dans mes cauchemars. Mais vous m'avez
appris à être un autre homme, et vous m'avez donné une raison de revivre :
Bernarda.
    – Fermín...
    – Ne dites rien,
Daniel. Pardonne-moi seulement, si vous le pouvez.
    Je l'étreignis en
silence et le laissai pleurer. Les gens nous jetaient des coups d'oeil
soupçonneux, et je leur rendais un regard enflammé. Au bout d'un moment, ils
décidèrent de nous ignorer. Puis, pendant que je raccompagnais mon ami à sa
pension, il retrouva la voix.
    – S'il vous plaît, ce
que je vous ai raconté aujourd'hui, je ne veux pas que Bernarda...
    – Ni Bernarda ni
personne. Pas un mot, Fermín.
    Nous nous séparâmes en
nous serrant la main.

 
     
     
     
     
    24
     
     
     
     
    Je restai éveillé
toute la nuit étendu sur le lit, lumière allumée, en contemplant le superbe
stylo Montblanc avec lequel je n'avais plus écrit depuis des années et qui
était devenu pour moi ce que peut représenter une paire de gants de luxe pour
un manchot. A plusieurs reprises, je fus tenté d'aller rôder du côté de la
maison des Aguilar et, à défaut d'autre perspective, de me livrer. Mais, après
avoir longuement tergiversé, je me dis que débarquer au petit matin au domicile
du père de Bea n'améliorerait pas beaucoup la situation dans laquelle elle se
trouvait. A l'aube, la fatigue et l'impossibilité de fixer mes pensées
m'aidèrent à récupérer mon égoïsme congénital, et je ne tardai pas à me
convaincre que la meilleure solution était de laisser couler de l'eau sous les
ponts et qu'avec le temps la rivière emporterait tout le mauvais sang.
    La matinée passa dans
le train-train habituel de la librairie et j'en profitai pour somnoler debout
avec (au dire de mon père) la grâce et l'équilibre d'un flamant rose. A midi,
comme nous en étions convenus la veille avec Fermín, je feignis de partir faire
un tour, et il prétendit que c'était l'heure d'aller au dispensaire se faire
retirer des points de suture. Peut-être manquais-je de perspicacité, mais il me
sembla que mon père accepta les deux bobards sans sourciller. L'idée de lui
mentir systématiquement commençait à m'empoisonner l'esprit, et je l'avais
confié à Fermín un peu plus tôt, profitant d'un moment où mon père était sorti
faire course.
    – Daniel, la relation
père-fils est fondée sur des milliers de petits mensonges affectueux. Les Rois
mages qui laissent des cadeaux aux enfants, la petite souris qui vient chercher
la dent sous l'oreiller pour mettre une pièce à la place, etc. Ça n'en est
qu'un de plus. Ne vous sentez pas coupable.
    Le moment venu,
j'inventai donc un nouveau prétexte et me dirigeai vers le domicile de Nuria
Monfort dont je conservais le contact et le parfum gravés au tréfonds de ma
mémoire. La place San Felipe Neri avait été envahie par une bande de pigeons
qui paressaient sur les pavés. J'espérais trouver Nuria Monfort en compagnie de
son livre, mais le lieu était désert. Je traversai le terre-plein sous la
surveillance attentive de douzaines de volatiles et jetai un regard aux
alentours, cherchant en vain la présence de Fermín camouflé en Dieu sait quoi, puisqu'il
avait refusé de me révéler la ruse qu'il avait imaginée. Je gagnai l'escalier
et vérifiai que le nom de Miquel Moliner figurait toujours sur la boîte aux
lettres. Je me demandai si ce détail serait celui que j'indiquerais à Nuria
Monfort comme le premier accroc à la vérité dans l'histoire qu'elle m'avait
racontée. En montant dans la pénombre, j'en vins à souhaiter de ne pas la
trouver chez elle. Nul n'a autant de compassion pour un menteur qu'un autre
menteur. Parvenu à son étage, je fis une pause pour rassembler mon courage et
inventer une excuse quelconque susceptible de

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