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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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peintres
juchés sur un échafaudage contemplaient avec désolation le panneau qui n’avait
pas fini de sécher se diluer sous l’averse. La silhouette stoïque du policier
de garde devant la librairie était repérable de loin. En approchant du magasin
M. Federico Flaviá, je vis que l’horloger était sorti sur le seuil et regardait
la pluie tomber. Les séquelles de son séjour au commissariat étaient encore
lisibles sur son visage. Il portait un impeccable complet de laine grise et
tenait une cigarette qu’il ne s’était pas donné le mal d’allumer.
    – Tu as
quelque chose contre les parapluies, Daniel ?
    – Qu’y
a-t-il de joli que la pluie, monsieur Federico ?
    – La
pneumonie. Allons, entre, ce que tu m'as demandé est prêt.
    Je le dévisageai sans comprendre. M.
Federico m'ob servait avec insistance,
sans cesser de sourire. Je me bornai
à faire un geste d'assentiment et le suivis à l'inté rieur de son bazar aux merveilles. Dès que nous
fûmes entrés, il me tendit un
petit sac en papier kraft.
    – Et
maintenant, file, le fantoche qui surveille la librairie ne nous quitte pas des
yeux.
    Je glissai un regard à l'intérieur du
sac. Il contenait un petit
livre relié en cuir. Un missel. Le missel que Fermín avait à la main la
dernière fois que je l'avais vu. M. Federico, en me poussant dehors, me fît signe de ne pas dire un mot. Une fois dans la
rue, il retrouva sa sérénité et haussa la voix.
    – Et
rappelle-toi qu'il ne faut pas forcer le remontoir, sinon tu casseras encore le
ressort, compris ?
    – Soyez
sans crainte, monsieur Federico, et merci.
    En me
rapprochant de l'agent en civil, je sentis que le nœud qui s'était formé dans mon
estomac se serrait de plus en plus. Je passai devant l'homme et le saluai de la main qui tenait le sac remis
par M. Federico. Il me regardait d'un air vaguement intéressé. Je me glissai dans la
librairie. Mon père se tenait derrière le comptoir, comme s'il n'avait pas
bougé depuis mon départ. Ses yeux étaient tristes.
    – Écoute,
Daniel, pour tout à l'heure...
    – Ne t'en
fais pas. Tu avais raison.
    – Tu
trembles de froid.
    J'acquiesçai,
sans plus, et le vis partir chercher le thermos. J'en profitai pour m'éclipser
dans l'arrière-boutique et examiner le missel. Le message de Fermín s'en
échappa comme un papillon. Je lerattrapai au vol.
    La feuille
de papier à
cigarettes était presque transparente et l'écriture minuscule, si bien que je
dus la tenir à contre-jour pour pouvoir la déchiffrer,
     
     
    Cher Daniel
    Ne croyez pas un mot de ce que disent les journaux, sur
l'assassinat de Nuria Monfort. Comme toujours, c'est pur mensonge. Je suis sain
et sauf, et caché en lieu sûr. N'essayez pas de me chercher ou de m'envoyer des
messages. Détruisez ce mot dès que vous l'aurez lu. Pas besoin de l'avaler, il
suffit de le brûler ou de le déchirer en mille morceaux. Je reprendrai contact
avec vous, en faisant appel à mon ingéniosité habituelle et aux bons offices
d'amis communs. Je vous prie de transmettre l'essence de ce message, en code et en toute discrétion, à l'élue
de mon cœur. Vous, ne faites rien. Votre ami, le troisième homme,
    F R d T.
     
     
    Je
relisais le message quand quelqu'un frappa à la porte du réduit.
    – On
peut ? demanda une voix inconnue.
    Mon cœur
bondit dans ma poitrine. Ne trouvant rien d'autre,
je fis une boulette de la feuille de papier à cigarettes
et l'avalai. Je tirai la chaîne et profitai du fracas de la chasse d'eau pour déglutir. Le papier avait
le goût de cierge et de Sugus. En ouvrant la porte, je me trouvai face au sourire reptilien du policier qui
quelques secondes plus tôt, était posté devant la librairie.
    –Excusez-moi. Je ne sais pas si c'est d'entendre
la pluie tomber toute la journée, mais j'étais au bord de pisser dans mon troc,
sans parler du reste…
    – Je vous en prie, dis -je en lui cédant le passage. F aites comme chez vous.
    – Merci beaucoup.
    L'agent, qui à la lumière de l'ampoule me parut res sembler à une belette, m'inspecta de haut en bas. Son regard glauque comme un égout se posa sur le missel.
    – Si je ne lis pas quelque chose, je n'y arrive pas,
argumentai -je.
    – Moi, c 'est pareil. Et après ça, on dit que les Espa gnols ne lisent pas. Vous me le prêtez ?
    – Juste au-dessus de la chasse d'eau, il y a le der nier Prix
de la Critique, proposai-je. Infaillible.
    Je m'éloignai le plus dignement possible et rejoignis mon père qui

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