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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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pas à redémarrer. Je me retournai et vis qu’il
baissait la vitre. Il me sembla lire sur son visage de la sincérité
et même de la douleur, mais je refusai de leur
accorder du crédit.
    – Nuria
Monfort est morte dans mes bras, Daniel, dit-il. Je crois que ses dernières
paroles ont été un message pour toi.
    –
Qu'est-ce qu'elle a dit ? questionnai-je, en sentant ma voix se glacer.
A-t-elle prononcé mon nom ?
    – Elle
délirait, mais je crois qu'elle parlait de toi. A un moment, elle a dit qu'il y
a des prisons pires que les mots. Ensuite, avant de mourir, elle m'a demandé de
te dire de la laisser partir.
    Je le
regardai sans comprendre.
    – Laisser
partir qui ?
    – Une
certaine Pénélope. J'ai pensé que ce devait être ta fiancée.
    Palacios
détourna son regard et démarra dans le crépuscule. Je restai à contempler, déconcerté, les feux de la voiture se perdre
dans la pénombre bleu et pourpre. Puis je pris le chemin du Paseo de Colon en
me répétant les dernières paroles de Nuria Monfort sans en trouver le sens.
Arrivé sur la place du Portal de la Paz, je m'arrêtai pour observer les quais
proches de l'embarcadère des vedettes. Je m'assis sur les marches qui disparaissaient
dans l'eau trouble, à l'endroit
même où, une nuit qui remontait maintenant à des années, j'avais vu pour première fois Laín Coubert,
l'homme sans visage.
    – Il y a
des prisons pires que les mots, murmurai-je.
    Alors
seulement je compris : le message de Nuria Monfort ne m'était pas destiné.
Ce n'était pas moi qui devais laisser partir Pénélope. Ses dernières paroles ne
s'adressaient pas à un
étranger mais à l'homme qu'elle avait aimé en silence pendant quinze ans : Julián Carax.

 
     
     
     
     
    31
     
     
     
     
     
    Quand j'arrivai sur la place San Felipe Neri, il faisait déjà nuit
noire. Un réverbère éclairait le banc sur lequel j'avais aperçu
Nuria pour la première fois, désert et tatoué au canif de noms d'amoureux, d'insultes et
de serments. Je levai les yeux vers les fenêtres de son logement, au
troisième étage, et vis une lueur orangée et vacillante. Une bougie.
    Je pénétrai dans la grotte obscure de l'entrée et montai l'escalier à
tâtons. Un rai de lumière rougeâtre filtrait au bas de la porte entrouverte. Je
posai la main sur la poignée et m'immobilisai pour écouter. Je crus entendre un murmure, une
respiration entrecoupée qui provenaient de l'intérieur. Un instant, je crus
qu'il me suffirait d 'ou vrir pour la trouver en train de m'attendre, fumant près du balcon, jambes
serrées et adossée au mur, à l'endroit même où je l'avais laissée. Avec
précaution, craignant de la déranger, je poussai la porte et entrai. Les
rideaux du balcon ondulaient dans la pièce. La silhouette était assise devant
la fenêtre, le visage à contre-jour, une bougie allumée à la main. Une tache de
clarté, brillante comme de la résine fraîche, glissa sur la peau pour tomber
ensuite sur la poitrine. Isaac Monfort se retourna, te face ravagée de larmes.
    – Je ne vous ai pas vu cette après-midi à l'enterrement, dis-je.
    Il hocha la tête en silence et s'essuya les yeux du revers de son
manteau.
    – Nuria n'y était pas, murmura-t-il au bout d’un moment . Les
morts ne viennent jamais à leur
enterrement.
    Il jeta un
regard autour de lui, comme s’il
voulait me signifier que sa fille était
dans la pièce, assise près de nous dans la pénombre, et qu 'elle nous écoutait.
    –
Savez-vous que je n'étais jamais venu ici ? dit-il. C 'était toujours Nuria qui me rendait visite, « C'est
plus commode pour vous, père, disait-elle. Pourquoi monter les
escaliers ? » Moi je lui disais : « Très bien, si tu ne
m'invites pas, je ne viendrai pas. » Et elle répondait : « Pas
besoin d'invitation, père, c’est bon pour les étrangers. Vous pouvez venir
quand vous voulez. » Cela ne m'est pas arrivé une seule fois en plus de
quinze ans. Je lui répétais qu'elle avait choisi un mauvais quartier. Pas de
lumière. Un vieil immeuble. Elle se bornait à acquiescer. Comme quand je lui disais qu'elle avait choisi
une mauvaise vie. Pas d'avenir. Un mari sans métier et sans argent. C'est
étrange, cette manière que nous avons de juger les autres : c'est
seulement quand ils viennent à nous
manquer, quand on nous les prend, que nous découvrons à quel point notre mépris était misérable. On nous les prend
parce qu'ils n'ont jamais été à nous...
    La voix du
vieil

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