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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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vieux portraits abandonnés à la
compagnie des cierges et des fleurs fanées. Je finis par distinguer au loin les
lampes à gaz
allumées autour d'une fosse. Les silhouettes d'une demi-douzaine de personnes
s’alignaient en se découpant sur un ciel de cendre. Je pressai le pas et
m'arrêtai quand je pus entendre les paroles du prêtre.
    Le
cercueil, un coffre en pin brut, était posé à même la boue. Deux fossoyeurs le
gardaient, appuyés sur leurs pelles. J'examinai l'assistance. Le vieil Isaac,
le gardien du Cimetière des Livres Oubliés, n'était pas venu à l'enterrement de
sa fille. Je reconnus la voisine de palier, la
tête secouée par les sanglots tandis qu'un homme à l'aspect défait la consolait en lui caressant le dos. Son mari, supposai-je. Près d'eux, une femme d'une quarantaine d'années, habillée de gris,
tenait un bouquet de fleurs. Elle pleurait en silence, détournant ses yeux de
la fosse et serrant les lèvres. Je ne l'avais jamais vue. A l'écart du groupe,
engoncé dans une gabardine
noire et tenant son chapeau derrière son dos, je vis le policier qui m'avait
sauvé la vie la veille, Palacios. Il leva les yeux et m'observa quelques
secondes sans qu'un trait de son visage le trahisse. Les paroles aveugles du
prêtre, dépourvues de sens, étaient tout ce qui nous
séparait du terrible silence. Je contemplai le cercueil, souillé de terre argileuse. J'imaginai Nuria
Monfort couchée à l'intérieur, et c'est seulement quand l'inconnue me tendit
une fleur de son bouquet que je me rendis compte de mes larmes. Je restai là,
immobile, jusqu'à ce que le groupe se disperse et que, sur un signe du prêtre,
les croque-morts s'apprêtent à faire leur tra vail à la lumière des lampes. Je glissai la fleur dans la poche de mon
manteau et m'éloignai, incapable de prononcer l'adieu pour lequel j'étais venu.
    La nuit commençait à tomber quand je parvins à la porte du cimetière, et
je sus que j'avais raté le dernier autobus. Je me disposai à entreprendre une
longue marche à l'ombre de la nécropole et m'engageai sur la route qui longeait
le port pour rejoindre Barcelone. Une voiture noire stationnait à une vingtaine
de mètres devant moi, phares allumés. Le conducteur fumait une cigarette. Quand
je tus tout près, Palacios ouvrit la portière et me fît signe de monter.
    – Monte, je te rapprocherai de chez toi À cette heure-ci, tu ne trouveras
ni autobus ni taxi.
    J'hésitai un instant.
    – Je préfère marcher.
    – Ne dis pas de bêtises. Monte.
    Il parlait d'un ton tranchant, comme quelqu'un qui l'habitude de commander
et de se faire obéir sur-champ.
    – S 'il te plaît, ajouta-t-il.
    Je montai, et le policier mit le moteur en marche.
    – Enrique Palacios, dit-il en me tendant la main.
    Je ne la serrai pas.
    – Vous pouvez me déposer sur le Paseo de Colón.
    La voiture démarra rapidement Nous fîmes une bonne partie du trajet sans
desserrer les lèvres.
    – Je veux que tu saches que je suis sincèrement désolé de ce qui est
arrivé à Mme Monfort.
    Dans sa bouche, ces mots me parurent une
obscénité, une insulte.
    – Je vous remercie de m'avoir sauvé la vie l 'autre jour, mais je
dois vous dire aussi que je me fous que vous soyez désolé ou pas, monsieur
Palacios.
    – Je ne suis pas ce que tu penses, Daniel. Je voudrais t'aider.
    – Si vous espérez que je vous dise où est Fermín vous pouvez me laisser
ici même...
    – Je me fiche complètement de l'endroit où est ton ami. Je ne suis pas
en service.
    Je ne dis rien.
    – Tu ne me fais pas confiance, et je ne t'en veux pas. Mais au moins,
écoute-moi. Toute cette affaire est allée trop loin. Cette femme n'aurait pas
dû mourir. Je te demande de laisser tomber et d'oublier pour toujours cet
homme, ce Carax.
    – Vous en parlez comme si ça dépendait de ma volonté. Je ne suis qu'un
spectateur. La pièce, c'est vous et vos chefs qui l'avez montée.
    – Je suis fatigué des enterrements, Daniel. Je ne veux pas avoir à
assister au tien.
    – Tant mieux, parce que vous n'êtes pas invité.
    – Je parle sérieusement.
    – Moi aussi. Faites-moi le plaisir de vous arrêter et de me laisser
ici.
    – Nous serons au Paseo de Colon dans deux
minutes.
    – Ça m'est égal. Cette voiture pue la mort, comme vous. Laissez-moi
descendre.
    Palacios ralentit et s'arrêta sur le bas-côté. Je descendis et refermai
violemment la portière, en évitant son regard. J'attendis qu'il s'éloigne, mais
le policier ne se décidait

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