L'ombre du vent
faisant, crois-moi. Je prendrai mon temps. Tu peux le lui dire
si tu le vois. Parce que je le trouverai, même s'il se cache sous les pavés. Et
toi, tu portes le numéro suivant.
L'agent Lerma réapparut dans la salle à manger et échangea un regard avec
Fumero, un bref signe négatif. Fumero relâcha sa pression sur le percuteur et
éloigna le revolver.
– Dommage, dit-il.
– De quoi
l'accuse-t-on ? Pourquoi est-il recherché ?
Fumero me
tourna le dos et alla vers les deux agents qui, à son signal, lâchèrent mon
père.
– Vous
vous en souviendrez, cracha ce dernier.
Les yeux
de Fumero s'attardèrent sur lui. Instinctivement, mon père recula d'un pas.
J'eus peur que la visite de l'inspecteur ne fasse que commencer mais, soudain,
Fumero hocha la tête en ricanant tout bas et quitta l'appartement sans plus de
cérémonie. Lerma le suivit. Le troisième policier, mon garde du corps
perpétuel, s'arrêta un instant sur le seuil. Il me regarda en silence, comme
s'il voulait me dire quelque chose.
–
Palacios ! aboya Fumero, dont la voix fut répercutée par les échos de l'escalier.
Palacios
baissa les yeux et disparut. Je sortis sur le palier. Des bandes de lumière se
dessinaient autour des portes des voisins dont on discernait dans la pénombre
les têtes terrorisées. Les trois silhouettes noires des policiers se perdirent
dans l'escalier, et leur martèlement furieux battit en retraite comme une marée
empoisonnée, en laissant un sillage de peur et d'obscurité.
On
approchait de minuit quand nous entendîmes de nouveaux coups à la porte, cette
fois plus faibles, presque craintifs. Mon père, qui était en train de nettoyer
à l'eau oxygénée la plaie que m'avait laissée le revolver de Fumero, s'arrêta
net. Nos regards se rencontrèrent. Trois autres coups nous parvinrent.
Un
instant, je crus que Fermín avait assisté à la totalité de l'incident, caché
dans un recoin obscur de l'escalier.
– Qui est
là ? demanda mon père.
– M.
Anacleto.
Mon père
soupira. Nous ouvrîmes la porte pour nous trouver face au professeur, plus pâle
que jamais.
– Que se
passe-t-il, monsieur Anacleto ? Vous ne vous sentez pas bien ?
demanda mon père, en le faisant entrer.
Le
professeur tenait à la main un journal plié. Il se borna à nous le tendre avec
un regard horrifié. Le papier était encore tiède et l'encre toute fraîche.
C'est
l'édition d'aujourd'hui, murmura M. Anacleto
La
première chose que je vis fut les deux photos qui accompagnaient le titre.
L'une montait un Fermín plus fourni en chair et en cheveux, moins vieux,
peut-être, de quinze ou vingt ans. La seconde révélait le visage d'une femme
aux yeux clos et au teint de marbre. Je mis quelques secondes à la reconnaître,
parce que je l'avais toujours vue dans la pénombre.
UN INDIGENT ASSASSINE UNE FEMME
EN PLEIN JOUR
Barcelone (Agences et Rédaction ). La police
cherche l'indigent qui a assassiné cette après-midi à coups de couteau Nuria
Monfort Masdedeu, âgée de trente-sept ans et habitant Barcelone
Le crime
a eu lieu vers le milieu de l'après-midi au quartier de San Gervasio, où la
victime a été agressée sans raison apparente par l'indigent qui, semble-t-il et selon les
informations de la Préfecture de Police, l’avait suivie pour des motifs qui
n'ont pas encore été éclaircis.
L'assassin,
Antonio José Gutiérrez Alcayete, âgé de cinquante et un ans et originaire de
Villa Inmunda, province de Cáceres, serait un pervers notoire, ayant un long
passé de troubles mentaux, évadé de le Prison Modèle il y a six ans, et qui
aurait réussi à échapper aux autorités
en prenant diverses identités. Au moment du crime, il portait une soutane. Il
est armé et la police le qualifie d'extrêmement dangereux. On ignore encore si
la victime et son assassin se connaissaient, bien que des sources proches de la
Préfecture de Police indiquent que tout semble converger vers une telle
hypothèse, et le mobile du crime reste inconnu. La victime a reçu six blessures
d'arme blanche au ventre, au cou et à la poitrine. L'agression, qui a eu lieu à
proximité d'un collège, a eu pour témoins plusieurs élèves qui ont alerté les
professeurs de l'institution, lesquels, à leur tour, ont appelé la police et
une ambulance. D'après le rapport de la police, les blessures reçues par la
victime étaient toutes fatales. A son admission à l'hôpital de Barcelone à 18 h
15, la victime avait cessé
Weitere Kostenlose Bücher