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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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un dixième
de seconde près. Le temps de recouvrer mes esprits, l'homme qui m'avait sauvé
la vie s'éloignait déjà d'un pas de promeneur, silhouette en gabardine grise.
Je restai cloué sur place, le souffle coupé. Dans la pluie qui brouillait tout,
je pus voir que mon sauveur s'était arrêté de l'autre côté de la rue et
m'observait. C'était le troisième policier, Palacios. Un mur de voitures
s'interposa entre nous et, quand je regardai de nouveau, Palacios avait
disparu.
    Je me
dirigeai vers la maison de Bea, incapable d'attendre davantage. J'avais besoin
de me rappeler le peu de bon qu'il y avait en moi et que je ne devais qu'à
elle. Je grimpai l'escalier quatre à quatre et m'arrêtai, hors d'haleine,
devant la porte des Aguilar. Je frappai trois fois avec force. Je rassemblai
tout mon courage pris conscience de mon aspect : trempé jusqu'aux os. Je
balayai les cheveux de mon front et me dis que les dés
étaient jetés. Si je devais tomber sur M. Aguilar prêt à me casser la figure et
me briser les membres autant que ce soit le plus tôt possible. Je frappai de
nouveau, et perçus des pas qui se rapprochaient Le judas s'entrouvrit. Un œil
sombre et méfiant m'observait.
    – Qui
est-ce ?
    Je reconnus
la voix de Cecilia, une des domestiques de la famille Aguilar.
    – Daniel
Sempere, Cecilia.
    Le judas
se referma et, quelques secondes plus tard, j'entendis le concert des serrures
et des verrous qui défendaient l'accès de l'appartement. La porte s'ouvrit
lentement, et je vis Cecilia, en coiffe et uniforme, portant un chandelier et
une bougie. A son expression alarmée, je devinai que je devais ressembler à un
cadavre,
    – Bonjour,
Cecilia. Bea est là ?
    Elle me
regarda sans comprendre. Jusqu'à ce jour, dans les us et coutumes de la maison,
ma présence, devenue ces derniers temps inhabituelle, était uniquement associée
à Tomás, mon vieux camarade de classe.
    –
Mademoiselle Beatriz n'est pas là...
    – Elle est
sortie ?
    Cecilia,
qui n'était que panique cousue à un tablier, fit un signe affirmatif.
    – Sais-tu
quand elle rentrera ?
    La bonne
haussa les épaules.
    – Elle est
partie chez le docteur avec Monsieur et Madame il y a deux heures.
    – Chez le
docteur ? Elle est malade ?
    – Je ne
sais pas, monsieur.
    – Quel
docteur sont-ils allés voir ?
    – Je ne
sais pas non plus, monsieur.
    Je décidai
de ne pas martyriser davantage la pauvre femme de chambre. L'absence des
parents de Bea m'ouvrait d'autres voies à explorer.
    – Et
Tomás, il est à la maison ?
    – Oui,
monsieur. Entrez, je vais le prévenir.
    Je
pénétrai dans le vestibule et attendis. En d'autres circonstances, je serais
allé directement à la chambre de mon ami, mais je ne venais plus dans cette
maison depuis si longtemps que je me sentais redevenu un étranger. Cecilia
disparut dans le couloir, auréolée de lumière, en m'abandonnant à l'obscurité.
Il me sembla entendre au loin la voix de Tomás, puis des pas. J'improvisai une
excuse pour justifier ma visite inattendue. Mais ce fut la femme de chambre qui
réapparut sur le seuil, regard contraint, et mon sourire se figea aussitôt
    – Monsieur
Tomás est très occupé, et il ne peut vous recevoir.
    – Vous lui
avez dit qui je suis ? Daniel Sempere.
    – Oui,
monsieur. Il vous prie de vous en aller.
    Je reçus
au creux de l'estomac un coup glacé qui me coupa le souffle.
    – Je
regrette, monsieur, dit Cecilia.
    Je hochai
la tête, sans trouver que répondre. La femme de chambre ouvrit la porte de ce
que, quelques jours plus tôt, je considérais encore comme ma seconde maison.
    – Monsieur
veut-il un parapluie ?
    – Non,
merci, Cecilia.
    – Je
regrette, monsieur Daniel, répéta-t-elle.
    – Je me
forçai à lui adresser un large sourire.
    – Ne
t'inquiète pas, Cecilia.
    La porte
se referma en me laissant dans l’ombre. Je restai un moment sans réaction, puis
descendis lentement l’escalier. Arrivé au coin de la rue, je m’arrêtai pour me
retourner. Je levai les yeux vers l’étage des Aguilar. Tomás se découpait dans
l’encadrement de sa fenêtre. Il me regardait, immobile. Je le saluai de la
main. Il ne me renvoya pas les gestes et rentra dans sa chambre. J’attendis
presque cinq minutes, dans l’espoir de le voir réapparaître, mais en vain. Je
m’en fus en compagnie de la pluie qui lava mes larmes.
     
     
     
     
     
    29
     
     
     
     
    En
revenant à la librairie, je passai devant le cinéma Capitol où deux

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