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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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suis sûr qu'aucune petite fille n'a jamais appris à lire aussi tôt. Elle disait qu'elle voulait devenir écrivain et rédiger des encyclopédies et des traités d'histoire et de philosophie.
Sa mère prétendait que tout ça était ma faute, que Nuria m'adorait et que, comme elle pensait que son père n 'ai mait que les livres, elle voulait en écrire pour que son père l'aime aussi.
    – Isaac,
je ne trouve pas que ce soit une bonne idée de rester
seul ce soir. Pourquoi ne venez-vous pas avec moi ? Vous passerez la nuit
à la maison, comme ça mon père vous
tiendra compagnie.
    Isaac
refusa de nouveau.
    – J'ai à
faire, Daniel. Rentrez chez vous, et lisez ces pages. Elles vous appartiennent.
    Le vieil
homme détourna les yeux, et je me dirigeai vers la
porte. J'étais sur le seuil quand j'entendis sa voix, à peine un chuchotement.
    – Daniel ?
    – Oui.
    – Soyez
très prudent.
    Dans la
rue, il me sembla que les ténèbres rampaient sur les pavés et me collaient aux
talons. Je pressai l'allure et ne ralentis pas le rythme jusqu'à l'appartement.
Je trouvai mon père rencogné dans son fauteuil, un livre ouvert sur les genoux.
C'était un album de photos. En me voyant, il se redressa avec une expression de
soulagement, comme s'il se sentait libéré de tout le poids du ciel.
    – J'étais
inquiet. Comment s'est passé l’enterre ment ?
    Je haussai
les épaules, et mon père hocha la tête d'un air grave, sans insister.
    – Je
t'avais préparé à dîner. Si tu veux, réchauffe et...
    – Merci,
je n'ai pas faim. J'ai déjà mangé.
    Il me
regarda dans les yeux et hocha derechef la tête. Il se retourna et ramassa les
assiettes disposées sur la table. Alors, sans bien savoir pourquoi, je
m'approchai de lui et le serrai dans mes bras. Je sentis que mon père, surpris,
m'étreignait à son tour.
    – Daniel,
tu te sens bien ?
    Je ne l'en
serrai que plus fort.
    – Je
t'aime, murmurai-je.
    Les
cloches de la cathédrale sonnaient quand je commençai la lecture du manuscrit
de Nuria Monfort. Sa petite écriture, parfaitement formée, me rappela l’ordre qui
régnait sur son bureau, comme si elle avait cherché dans les mots la paix et la
sécurité que la n'avait pas voulu lui accorder.

 
     
     
     
    1933 –
1955
     
    Nuria
Monfort : mémoire des revenants

 
     
     
     
     
     
     
    1
     
     
     
     
     
     
    Il n'y a pas de
seconde chance, sauf pour le remords. Julián Carax et moi nous sommes
rencontrés à l'automne 1933. Je travaillais alors pour l'éditeur Toni
Cabestany. M. Cabestany l'avait découvert en 1927, lors d'un de ses voyages de
« prospection éditoriale » à Paris. Julián gagnait sa vie en jouant
du piano l'après-midi dans une maison close et écrivait la nuit La tenancière,
une certaine Irène Marceau, était en relations avec la plupart des éditeurs
parisiens, et grâce à ses interventions, ses faveurs ou ses menaces, Julián
avait réussi à publier plusieurs romans dans différentes mates avec des
résultats commerciaux désastreux. Cabestany avait acquis les droits exclusifs
pour l'édition de l'œuvre de Carax en Espagne et en Amérique du Sud en échange
d'une somme dérisoire qui incluait la traduction en espagnol par l'auteur
lui-même des textes orignaux rédigés en français. Il espérait vendre trois
mille exemplaires par livre, mais les premiers titres qu'il publia en Espagne
furent un échec retentissant : il se vendit à peine une centaine
d'exemplaires de chacun. Malgré les mauvais résultats, nous recevions tous les
ans un nouveau manuscrit de Julián que Cabestany accepta sans sourciller,
expliquant qu'il avait pris un engage ment avec l'auteur, que les bénéfices
n'étaient pas tout et qu'il fallait encourager la bonne littérature.
    Un jour, intriguée, je
lui demandai pourquoi il continuait à publier des romans de Julián Carax et à
perdre de l'argent. Pour toute réponse, Cabestany alla à sa bibliothèque, prit
un livre de Julián et m'invita à le lire. Ce que je fis. Deux semaines plus
tard, je les avais tous dévorés. Cette fois ma question fut : comment se
pouvait-il que nous en vendions si peu ?
    – Je ne sais pas, dit
Cabestany. Mais nous continuerons.
    Cela me parut un geste
noble et admirable qui ne cadrait pas avec l'image d'Harpagon que je m'étais
faite de M. Cabestany. Peut-être l'avais-je mal jugé. Le personnage de Julián
Carax m'intriguait de plus en plus. Tout ce qui le concernait était nimbé de
mystère. Une ou deux

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