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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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homme, dénuée de son ironie habituelle, était désespérée et semblait
venir d'aussi loin que son regard.
    – Nuria
vous aimait beaucoup, Isaac. N’en doutez pas un instant. Et je suis sûr qu'elle
sentait bien que vous l'aimiez autant, improvisai-je.
    Le vieil
Isaac hocha de nouveau la tête. Il souriait, mais les larmes coulaient sans
fin, silencieuses.
    –
Peut-être m'aimait-elle, à sa façon, comme je l’ai aimée à la mienne. Mais nous ne nous connaissions pas. Probablement parce que je ne l'ai
jamais laissée me connaître, ou que je n'ai jamais su faire le premier pas.
Nous avons passé notre vie comme deux étrangers qui se sont vus jadis tous les
jours et continuent de se saluer poliment. Et je me dis que, peut-être, elle
est morte sans me pardonner.
    – Isaac,
je vous assure...
    – Daniel,
vous êtes jeune et plein de bonne volonté, mais même si j'ai bu et si je ne
sais plus ce que je dis, vous n'avez pas encore appris à mentir assez bien pour
tromper un vieil homme au cœur ravagé de malheurs,
    Je baissai
les yeux.
    – La
police dit que l'homme qui l'a tuée est un ami à vous, aventura Isaac.
    – La
police ment.
    Isaac
acquiesça.
    – Je sais.
    – Je vous
assure...
    – Inutile,
Daniel. Je suis convaincu que vous dites la vérité, m'interrompit Isaac, en
tirant une enveloppe de la poche de son manteau.
    –
L'après-midi de sa mort, Nuria est venue me voir, comme elle le faisait
autrefois. Je me souviens que nous avions l'habitude d'aller manger dans un
café de la rue Guardia, où je la menais déjà quand elle était petite. Nous
parlions toujours de livres, de livres anciens. Elle me racontait des choses de
son travail, des choses insignifiantes, comme on en raconterait à un étranger
dans un autobus... Un jour, elle m'a confié qu'elle avait l'impression de
m'avoir déçu. Je lui ai demandé où elle avait péché cette idée absurde.
« Dans vos yeux, père, dans vos yeux. » Il ne m'est jamais venu à
l'esprit que j'avais peut-être été pour elle une déception encore plus grande.
Nous croyons parfois que les gens sont des billets de loterie : qu'ils
sont là pour transformer en réalité nos absurdes illusions.
    – Isaac,
avec tout le respect que je vous dois, vous avez bu comme un cosaque, et vous
racontez n'importe quoi.
    – Le vin
fait du sage un idiot et de l'idiot un sage. J'en sais assez pour comprendre
que ma propre fille n'a jamais eu confiance en moi. Elle avait plus confiance
en vous, Daniel, et elle ne vous avait vu que deux fois.
    – Je vous
assure que vous vous trompez.
    – Cette
dernière après-midi, elle m'a apporté cette enveloppe. Elle était très
inquiète, préoccupée par quelque chose qu'elle n'a pas voulu m'avouer. Elle m'a
prié de garder cette enveloppe et de vous remettre, s'il arrivait quelque
chose.
    – S'il
arrivait quelque chose ?
    – Ce sont
les mots qu'elle a employés. Je l'ai vue si affolée que je lui ai proposé de
nous rendre ensemble à la police : quel que soit le problème, nous
trouverions bien une solution. Elle m'a répondu que la police était le dernier
endroit où aller. Je l'ai suppliée de me révéler de quoi il s'agissait, mais elle
m'a dit qu'elle devait partir et m'a fait promettre de vous donner cette
enveloppe si elle ne revenait pas la chercher dans quelques jours. Elle m'a
demandé de ne pas l'ouvrir.
    Isaac me
tendit l'enveloppe. Elle était ouverte.
    – Je lui
ai menti, comme toujours, dit-il.
    J'inspectai
l'enveloppe. Elle contenait une liasse de feuilles couvertes d'une écriture
manuscrite.
    – Vous les
avez lues ?
    Lentement,
le vieil homme acquiesça.
    – Que
disent-elles ?
    Le vieil
homme leva son visage vers moi. Ses lèvres tremblaient. Il me parut avoir
vieilli de cent ans depuis notre dernière rencontre.
    – C'est l 'histoire que vous cherchiez, Daniel. Celle d'une femme que je n'ai jamais connue, et pourtant elle portait mon nom et mon sang. Maintenant,
l’histoire vous appartient.
    Je glissai
l'enveloppe dans la poche de mon manteau,
    – Si vous
le voulez bien, je vais vous prier de me laisser
seul avec elle. Tout à l'heure, pendant que je lisais ces pages, j'ai eu l'impression de la retrouver. Malgré tous mes efforts, je n'arrive à me la rappeler que
petite fille. Enfant, elle était très secrète, vous savez ? Elle observait tout d'un air pensif et ne riait jamais. Ce qu'elle aimait le plus, c'était qu'on lui raconte des his toires. Elle me demandait de lui en lire, mais je

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