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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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me
céder la chambre à coucher. Il prétendit qu'il ne dormait presque pas et qu'il
s'installerait dans la pièce principale sur un lit de camp prêté par son
voisin, M. Darcieu, un vieil illusionniste qui lisait dans la main des
demoiselles en se faisant payer d'un baiser. Cette première nuit, je m'endormis
comme une masse, épuisée par le voyage. Je me réveillai à l'aube et découvris
que Julián était sorti. Kurtz dormait sur la machine à écrire de son maître. Il
ronflait comme un gros chien. Je m'approchai de la table et vis le manuscrit du
nouveau roman que j'étais venue chercher.
     
     
    Le Voleur de
cathédrales
     
     
    Sur la première page, comme sur tous les romans de Julián, figurait la
dédicace, écrite à la main :
     
     
    Pour P
     
     
    Je fus tentée de commencer à le lire. J'étais sur le point de prendre la
deuxième page quand je m'aperçus que Kurtz me surveillait du coin de l'œil.
Comme je l'avais vu faire à Julián, je fis non de la tête. Le chat fit la même
chose, et je remis la feuille à sa place. Au bout d'un moment, Julián apparut
avec du pain frais, un thermos de café et du fromage blanc. Nous prîmes le
petit déjeuner sur le balcon. Julián parlait tout le temps, mais il fuyait mon
regard. A la lumière de l'aube, je lui trouvai l'air d'un vieil enfant. Il
s'était rasé et avait revêtu ce que je supposai être son seul costume décent,
un complétée coton beige, usé mais élégant. Je l'écoutai me parler des mystères
de Notre-Dame, d'une prétendue barque fantôme qui voguait la nuit sur la Seine
pour recueillir les âmes des amants désespérés qui s'étaient suicidés en se
jetant dans l'eau glacée, de mille et une histoires fantastiques qu'il
inventait au fur et à mesure de manière à ne pas me laisser le temps de poser
des questions. Je le contemplais en silence, acquiesçant, cherchant en lui
l'auteur des livres que je connaissais presque par cœur à force de tant les relire, le garçon que Miquel Moliner m'avait si souvent
décrit.
    – Combien de temps vas-tu rester à Paris ? demanda-t-il.
    J'estimais que mes tractations avec Gallimard me prendraient deux ou trois
jours. J'avais mon premier rendez-vous dans l'après-midi. Je lui dis que je
pensais consacrer deux jours à visiter la ville, avant de rentrer à
Barcelone.
    – Paris exige plus de
deux jours, dit Julián. Il ne se livre pas comme ça.
    – Je ne dispose pas de
plus de temps, Julián. M. Cabestany est un patron généreux, mais tout a une
limite...
    – Cabestany est un
pirate, mais même lui sait que Paris ne se visite pas en deux jours, ni en deux
mois, ni en deux ans.
    – Je ne peux pas
rester deux ans à Paris, Julián. Julián me regarda longuement et me sourit :
    – Pourquoi pas ?
Quelqu'un t'attend ?
    Les discussions avec
Gallimard et les visites de politesse à divers éditeurs avec qui Cabestany
avait des contrats me prirent trois jours pleins, comme je l'avais prévu. Julián
m'avait pourvu d'un guide et garde du corps, un garçon nommé Hervé qui avait
tout juste treize ans et connaissait la ville comme sa poche. Hervé
m'accompagnait de porte en porte, tenait à m'indiquer dans quels cafés manger
un sandwich, quelle rue éviter, quels passages emprunter. Il m'attendait pendant
des heures devant les bureaux des éditeurs sans perdre le sourire et sans
accepter le moindre pourboire. Hervé baragouinait un espagnol comique, mêlé
d'italien et de portugais.
    – Signore Carax ya me a
pagato con tuoda gènerosidade por meus serviçios...
    D'après ce que je pus
déduire, Hervé était l'orphelin d'une dame de l'établissement d'Irène Marceau
et vivait dans la mansarde de celle-ci. Julián lui avait appris à lire, écrire
et jouer du piano. Le dimanche, il l'emmenait au théâtre ou au concert. Hervé
idolâtrait et sem blait prêt à faire n'importe quoi pour lui, y compris me guider
jusqu'au bout du monde si nécessaire. Le troisième jour, il me demanda si
j'étais la fiancée signore Carax. Je lui dis que non, juste une amie de
passage. Il sembla déçu.
    Julián passait presque
toutes les nuits éveillé, assis à sa table avec Kurtz sur les genoux,
corrigeant des pages ou regardant simplement, au loin, les tours de Notre-Dame.
Une nuit que je ne pouvais pas dormir non plus, à cause du bruit de la pluie
qui criblait le toit, je le rejoignis dans la pièce principale. Nous nous
regardâmes sans rien dire, et Julián m'offrit une cigarette. Puis, quand la
pluie

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