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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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s'attablèrent au fond, loin de l'entrée et des fenêtres. Deux
clients fumaient au comptoir en écoutant la radio. Le garçon, un homme au teint
cireux dont les yeux semblaient rivés au sol, prit leur commande. Brandy chaud,
café, et, si possible, quelque chose à manger.
    Miquel
n'avala pas une bouchée. Carax, apparemment affamé, dévora pour deux. Les amis
se dévisag eaient
à la lueur glauque du café, pris dans les sortilèges du passé. Ils
s'étaient quittés adolescents et la vie les réunissait de nouveau, l'un fugitif, l'autre moribond. Chacun se
demandait si,
au jeu de la vie, les cartes les avaient
trahis ou s'ils n'avaient pas su s'en servir.
    – Je ne t'ai jamais
dit merci pour tout ce que tu as fait pour moi,
Miquel.
    – Ne commence
pas maintenant J'ai fait ce que je devais et ce que je voulais faire. Tu n'as pas à me remercier.
    – Comment
va Nuria ?
    – Comme tu
l'as laissée.
    Carax
baissa les yeux.
    – Nous
nous sommes mariés il y a quelques mois. Je ne sais si
elle t'a écrit pour te l 'annoncer.
    Les lèvres de
Carax se contractèrent,
et il fit lentement signe que non.
    – Tu n'as
pas le droit de lui faire des reproches, Julián.
    – Je sais. Je
n'ai aucun droit, à rien.
    – Pourquoi
n'as-tu pas fait appel à nous, Julián ?
    – Je ne
voulais pas vous
compromettre.
    – Cela ne
dépend plus
de toi. Où étais-tu, tout ce temps ? Nous avons
cru que la
terre t'avait avalé.
    – Presque.
J'étais à
la maison. La maison de mon père.
    Miquel le regarda avec
étonnement. Julián lui raconta comment, ne sachant où aller en débarquant à Barcelo ne, il
s'était dirigé vers la maison où il avait grandi, en craignant
de n'y trouver personne. La chapellerie était toujours là, ouverte, et un vieil homme chauve, le
regard éteint, était seul derrière le comptoir. Il n'avait pas voulu entrer ni
lui faire savoir qu'il était de retour, mais Antoni Fortuny avait levé les yeux
vers l'étranger qui se tenait de l'autre côté de la vitrine. Leurs regards
s'étaient rencontrés, et Julián, bien qu'il eût préféré partir en courant,
était resté paralysé. Il avait vu des larmes se former sur le visage du
chapelier, qui s'était traîné jusqu'à la porte pour sortir dans la rue. Sans
prononcer un mot, Fortuny avait fait entrer son fils, baissé les grilles et, le
monde extérieur ainsi banni, l'avait serré dans ses bras en pleurant.
    Plus tard, le chapelier avait
expliqué que, l'avant-veille, la police était venue poser des questions. Un
certain Fumero, un homme affligé d'une réputation sinistre, dont on chuchotait
qu'il avait été le mois précédent à la solde des tueurs du général Goded et
qu'il était maintenant comme cul et chemise avec les anarchistes, lui avait dit
que Julián allait revenir à Barcelone, qu'après avoir assassiné Jorge Aldaya de
sang-froid à Paris il était recherché pour d'autres délits, dont le chapelier
ne s'était pas donné la peine d'écouter l’énumération. Si, par un hasard à vrai
dire improbable, l'enfant prodigue venait à se présenter chez le chapelier,
Fumero était sûr que celui-ci aurait à cœur de remplir son devoir de citoyen et
de l'en avertir. Fortuny avait répondu que, bien sûr, on pouvait compter sur
lui. Dès que le sinistre cortège de la police avait quitté le magasin, le
chapelier, outré qu'une vipère telle que Fumero puisse donner sa bassesse pour
acquise, était parti pour la chapelle de la cathédrale où il avait jadis
rencontré Sophie, et avait supplié le saint de diriger les pas de l'enfant
prodigue vers sa maison avant qu'il ne soit trop tard. Effectivement, Julián
était venu, et son père l'avait averti du danger qui planait sur lui.
    – Je ne sais pas ce que tu
veux faire à Barcelone, mon enfant, mais laisse-moi le faire à ta place et
cache-toi dans la maison. Ta chambre est toujours telle que tu l'as laissée, et
elle est à toi pour tout le temps où tu en auras besoin.
    Julián lui avait avoué qu'il
était rentré pour chercher Penélope. Le chapelier lui avait promis qu'il la
trouverait et qu'une fois réunis il les aiderait à fuir ensemble dans un lieu
sûr, loin de Fumero et du passé, loin de tout
    Julián était resté cloîtré
dans l'appartement du boulevard San Antonio, tandis que le chapelier parcourait
la ville. Il passait ses journées dans son ancienne chambre, où, comme le lui
avait dit son père, rien n'avait été changé, même si tout lui semblait
maintenant plus

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