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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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se rendit au dépôt pour faire ses adieux à
Julián. Il y trouva le chapelier, que la police était allé cueillir afin de procéder
à l'identification du corps. Fortuny n'avait pas eu de nouvelles de Julián
depuis deux jours et s'attendait au pire. En découvrant le corps de celui qui,
à peine une semaine plus tôt, avait sonné à sa porte et lui avait dit qu'il
cherchait Julián (et qu'il avait pris pour un agent de Fumero), il poussa des hurlements
et s'enfuit. La police considéra que cette réaction valait une reconnaissance
en bonne et due forme. Fumero, témoin de la scène, s'approcha du corps et l'examina en silence. Quand
il reconnut Miquel Moliner, il se borna à sourire, signa le rapport officiel qui confirmait que le corps
était bien celui de Julián Carax et donna l'ordre de le
transporter immé diatement dans une fosse commune de Montjuïc.
    Longtemps je me suis demandé
pourquoi Fumero avait agi ainsi. Mais c'était bien dans sa logique. En mourant
sous l'identité de Julián, Miquel lui avait offert involontairement la
couverture parfaite. A partir de cet instant, Julián Carax n'existait plus.
Aucun document légal ne permettrait désormais de faire le lien entre Fumero et
l'homme que, tôt ou tard, il espérait retrouver et tuer. On était en guerre, et
peu de gens demanderaient des explications pour la mort d'un anonyme. Julián
avait perdu son identité. Il était une ombre. Je passai deux jours chez moi à
attendre Miquel ou Julián, me sentant devenir folle. Le troisième jour, un
lundi, je retournai travailler à la maison d'édition. A l'hôpital depuis
plusieurs semaines, M. Cabestany ne reviendrait plus. Son fils aîné, Álvaro,
avait pris la direction de l'affaire. Je ne dis rien à personne. A qui
aurais-je pu me confier ?
    Ce même matin, je reçus
l'appel d'un fonctionnaire de la morgue, M. Manuel Gutiérrez Fonseca. Il m’expliqua
que le corps du dénommé Julián Carax était arrivé au dépôt et que, en
feuilletant le passeport du défunt et en voyant le nom de l'auteur du livre
trouvé dans sa poche lors de son admission, il s'était senti moralement obligé
d'appeler notre maison d'édition pour lui faire part du décès. Il
soupçonnait, en outre, sinon une claire irrégularité, du moins une certaine
désinvolture de la police à l'égard du règlement. En l'entendant, je crus que
j'allais mourir. La première chose qui me vint à l'esprit fut qu'il s'agissait
d'un piège de Fumero. M. Gutiérrez s'exprimait avec la concision d'un
fonctionnaire consciencieux, mais je devinais dans sa voix autre chose, que
lui-même, peut-être, n'aurait su expliquer. J'avais pris l'appel dans le bureau
de M. Cabestany. Grâce à Dieu, Álvaro était parti déjeuner et j'étais seule,
sinon il m'eût été difficile d'expliquer mes larmes et le tremblement de mes
mains pendant que je tenais le téléphone. M. Gutiérrez me dit qu'il avait cru
de son devoir de m'informer.
    Je le
remerciai de son appel sur le ton faussement formel des conversations en code.
Dès que j'eus raccroché, je fermai la porte du bureau et me mordis les poings
pour ne pas crier. Je me passai de l'eau sur le visage et partis immédiatement
chez moi, en laissant une note pour expliquer à Álvaro que j'étais malade et
que je reviendrais le lendemain avant l'heure d'ouverture afin de mettre le
courrier à jour. Je dus prendre sur moi pour ne pas courir dans la rue, pour
garder le pas anonyme et gris des gens sans secrets. En introduisant la clef
dans la serrure de la porte de l'appartement, je compris qu'elle avait été
forcée. Je restai paralysée. La poignée se mit à tourner de l'intérieur. Je me
demandai si j'allais mourir ainsi, dans un escalier obscur, sans savoir ce
qu'était devenu Miquel. La porte s'ouvrit, et je me trouvai devant le regard
sombre de Julián Carax. Que Dieu me pardonne, mais, en cet instant, je me
sentis renaître à la vie et remerciai le ciel de m'avoir rendu Julián à la
place de mon mari.
    Nous nous perdîmes dans une
étreinte interminable, mais quand je cherchai ses
lèvres, Julián recula et baissa les yeux. Je refermai la porte et, prenant
Julián par la main, je le guidai jusqu'à la chambre. Nous nous allon geâmes sur le lit, silencieusement
enlacés. Le soir approchait, et les ombres de l'appartement se teintaient de
pourpre. On entendit au loin des coups de feu isolés, comme tous les soirs
depuis le début de la guerre. Julián pleurait sur ma poitrine, et je me

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