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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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saignaient.
Je ne compris pas bien ce que cela signifiait, mais je sentis le froid me
couper la respiration. Julián s'en approchait à pas lents. Toutes les autres
portes, dans le corridor – dans la maison entière –, étaient ouvertes, sans
serrures ni poignées. Toutes, sauf celle-là. Une porte secrète, obstruée avec
des briques rouges, cachée au fond d'un couloir lugubre. Julián posa les mains
dessus.
    – Julián, je t'en supplie,
allons-nous-en...
    L'impact de son poing sur le
mur de briques éveilla un écho caverneux de l'autre côté. Il me sembla que ses
mains tremblaient quand il posa le briquet par terre et me fit signe de
reculer.
    – Julián...
    Le premier coup fit tomber une
pluie de poussière rouge. Julián s 'élança de nouveau. Je crus
entendre ses os craquer. Il ne parut pas s'en soucier. Il frappait le mur à coups
redoublés, avec
la rage d'un prisonnier qui se fraie un chemin vers la liberté. Ses
poings et ses bras étaient tailladés, mais il parvint à desceller
une première brique qui tomba de l'autre côté. De ses doigts ensan glantés, Julián s 'acharna alors à agrandir le
trou noir. Il haletait, à bout de forces et possédé d'une fureur dont je ne
l'aurais jamais
cru capable. Une à une les briques cédèrent, et le mur s'écroula. Julián
s'arrêta, couvert d'une sueur froide, les mains écorchées. Il ramassa le briquet et le posa sur les débris. Une
porte en bois sculpté, ornée d'anges, s'élevait de l'autre côté. Julián en caressa les
reliefs comme s'il déchiffrait des hiéro glyphes. La porte s'ouvrit sous la
pression de ses mains.
    Des ténèbres bleues, épaisses et
gélatineuses s'éten daient au -delà. Plus loin, on devinait
un escalier. Les marches de pierre descendaient pour se perdre dans l'ombre. En silence, je fis non de la
tête pour l’implorer de ne pas les suivre. Il m'adressa
un regard désespéré et s 'enfonça dans le noir. Depuis
le mur de briques écroulé, je le vis descendre en trébuchant. La flamme vacillait, mince
filet bleuté et transparent.
    –
Julián ?
    Seul me répondit le silence. Je
pouvais voir l’ombre de Julián, immobile en bas de
l'escalier. Je traversai ce qu i restait du mur et descendis à
mon tour. Un froid intense me transperçait Les deux pierres tombales étaient
recouvertes d'un voile de toiles d'araignée qui se défit comme de la soie
ancienne sous la flamme du briquet. Le marbre blanc était sillonné de larmes
d'humidité qui semblaient suinter des entailles qu'avait fai tes le
ciseau du graveur. Elles se serraient l'une contre l’autre, telles des
malédictions enchaînées.
     
    PENÉLOPE ALDAYA                    DAVID
ALDAYA
    1902-1919                                    1919
     
     
     
    11
     
     
     
    Combien de
fois, depuis, ai-je repensé à ce moment de silence, en essayant d'imaginer ce
que Julián avait dû ressentir en découvrant que la femme qu'il avait attendue
pendant dix-sept ans était morte, que leur enfant était parti aussi, que la vie
qu'il avait rêvée, sa seule
raison d'être, n'avait jamais existé ? Presque tous, nous avons la chance
ou le malheur de voir la vie s'effriter peu à peu, sans presque nous en rendre
compte. Pour Julián, cette certitude s'imposa en quelques secondes. Un instant,
je pensai qu'il allait se précipiter dans l'escalier, fuir ce lieu maudit et ne
plus jamais y revenir. Peut-être cela eût-il mieux valu.
    Je me
rappelle que la flamme du briquet s'éteignit lentement et que la silhouette de
Julián s'évanouit dans l'obscurité. Je le cherchai à tâtons. Je le trouvai
tremblant, muet. Il pouvait à peine tenir debout et se traîna dans un coin. Je
l'étreignis et l'embrassai sur le front. Il ne bougeait pas. Je passai les
doigts sur son visage, mais aucune larme ne coulait. Je crus que peut-être,
inconsciemment, il avait su cela pendant toutes ces années, que cette rencontre
devait être nécessaire pour qu'il puisse affronter l'évidence et se libérer.
Nous étions arrivés au bo ut du chemin. Julián allait enfin comprendre que rien ne le
retenait plus à Barcelone, et nous partirions au loin. Je
voulus croire que notre destin allait changer et Penélope nous avait
pardonné.
    Je cherchai le briquet
par terre et le rallumai. Julián contemplait le néant, indifférent à la flamme. Je
l’obligeai à me regarder et rencontrai des yeux vides, consumés par la rage et le
désespoir. Je sentis le

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