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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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poison de la haine se répandre lentement dans ses
veines, et je pus lire dans ses pensées. Il me haïssait de lui
avoir senti.
Il haïssait Miquel d'avoir voulu lui faire le cadeau d’une vie
qui lui était aussi intolérable qu'une blessure ouverte. Mais surtout il haïssait
l'homme qui avait
causé cette catastrophe, cette traînée de mort et de malheurs :
lui-même. Il haïssait ces cochonneries de livres auxquels il avait consacré sa vie
et dont per sonne n'avait cure. Il haïssait une existence vouée à la tromperie et au mensonge. Il
haïssait chaque seconde volée et tout ce qui lui avait permis de
vivre.
    Il me
regardait, figé, comme on regarde un étranger ou un objet
inconnu. Je faisais non de la tête, en cher chant ses mains.
Soudain, il s'écarta et se redressa contre le mur. Je tentai de lui saisir le
bras, mais il me repoussa contre le mur. Je le vis, muet, monter
l'escalier : un homme que je ne connaissais plus. Julián Carax
était mort. Quand je sortis dans le jardin, je n'aperçus pas trace de lui. J'escaladai le mur et
sautai de l'autre côté. Les rues désolées ruisselaient de pluie. Je criai
son nom, en m archant dans l'avenue déserte. Personne ne répondit à mon appel.
Lorsque je rentrai à la maison, il était p resque quatre
heures du matin. L'appartement était noyé dans la fumée et sentait le brûlé.
Julián y était passé. Je courus ouvrir les fenêtres. Je trouvai un étui sur ma table : il
contenait le stylo que j'avais acheté des années auparavant à Paris, celui que
j'avais payé une fortune sous le fallacieux prétexte qu'il avait appartenu à
Alexandre Dumas ou à Victor Hugo. La fumée provenait du poêle. J'ouvris le
foyer et vis que Julien avait brûlé tous les exemplaires de ses romans qu'il
avait trouvés sur les rayonnages. On pouvait encore lire les titres sur les dos
de cuir. Le reste n'était que cendres.
    Des heures plus tard, quand
j'arrivai à la maison d'édition, Álvaro Cabestany me convoqua dans son bureau.
Son père ne venait plus, et les médecins avaient dit que ses jours étaient
comptés, ce qui était aussi le cas pour mon emploi. Le fils de Cabestany
m'apprit que, ce même matin à la première heure, un individu nommé Laín Coubert
s’était présenté et avait expliqué
qu'il souhaitait acquérir tous les exemplaires des romans de Julián Carax que
nous avions en stock. Le fils de l'éditeur avait répondu que nous en avions un
entrepôt plein à Pueblo Nuevo, mais que la demande était très forte, et il avait
donc demandé un prix supérieur à celui proposé par Coubert. Celui-ci n'avait
pas mordu à l'hameçon et s'était éclipsé comme un courant d'air. Maintenant,
Cabestany fils voulait que je trouve l'adresse de ce Coubert pour lui dire
qu'il acceptait son offre. Je dis à cet imbécile que Laín Coubert n'existait
pas, que c'était le personnage d'un roman de Carax. Qu'il n'avait nullement
l'intention d'acheter les livres : il voulait seulement savoir où ils
étaient, M. Cabestany avait l'habitude de garder un exemplaire de tous les
livres publiés dans la bibliothèque de son bureau, et parmi eux les œuvres de
Julián Carax. Je m'y glissai et les pris.
    L’après-midi, j'allai voir mon
père au Cimetière des Livret Oubliés et les cachai là où personne, et
particulière ment Julián, ne pourrait les trouver les trouver. Quand j'en
ressortais, la nuit était déjà tombée. En errant sur les Ramblas, j’arrivai
à la Barceloneta
et allai sur la plage, à la cherche de l’ endroit où j'avais contemplé
la mer avec J ulián. Les flammes qui s'élevaient de l'entrepôt de Pueblo Nuevo
étaient visibles
au loin, la trainée orangée se répandait sur la mer, et les spirales de feu
montaient dans le ciel comme des serpents de lumière. Lorsque les pompiers eurent réussi à éteindre les flammes,
peu avant le lever du jour, il ne restait plus guère que le squelette de briques et de fer qui
soutenait le toit. Je trouvai là Lluís Carbó, qui avait été notre gardien de
nuit pendant dix ans. Il regardait les décombres
fumants, incrédule. Il avait les cils et les poils des bras
brûlés et sa peau brillait comme du bronze humide. C'est lui qui
me raconta que les flammes étaient apparues peu après minuit et avaient dévoré des dizaines de milliers de
livres jusqu'à ce que l'aube se lève comme un fleuve de
cendres. Lluís avait encore dans les mains une poignée de
livres qu’il avait réussi à sauver, des recueils

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