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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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lentement une spirale bleutée. Il saisit une
extrémité du cadenas et versa l'acide dans le trou de la serrure. Le métal
chuinta comme du fer porté à incandescence, dans un voile de fumée jaune. Nous
attendîmes quelques secondes, puis il saisit un pavé au milieu des mauvaises
herbes et fit éclater le cadenas en le frappant à plusieurs reprises. Il poussa
alors la porte d'un coup de pied. Elle s'ouvrit lentement, comme un tombeau,
crachant une haleine épaisse et humide. Julián alluma un briquet à essence et
fit quelques pas dans le vestibule. Je le suivis en refermant la porte derrière
nous. Julián avança de plusieurs mètres, en tenant la flamme au-dessus de sa
tête. Un tapis de poussière s'étendait sous nos pieds, sans autres traces que
celles que nous faisions. Les murs nus s'éclairaient au passage de la lueur
orangée. Il n'y avait pas de meubles, pas de miroirs ou de lampes. Les portes
étaient restées dans leurs gonds, mais les poignées de bronze avaient été
arrachées. La villa ne montrait plus que son ossature décharnée. Nous nous
arrêtâmes au pied de l'escalier. Le regard de Julián se perdit vers le haut. Il
se retourna un instant pour me regarder et je voulus lui sourire, mais, dans
l'ombre, nous devinions à peine nos regards. Je le suivis sur les marches où il
avait vu Penélope pour la première fois. Je savais vers quoi nous nous
dirigions et me sentis envahie par un froid qui ne devait rien à l'atmosphère
humide et pénétrante du lieu.
    Nous continuâmes jusqu'au
troisième étage, où un couloir étroit menait à l'aile sud de la maison. Là, le
plafond était beaucoup plus bas et les portes plus petites. C'était l'étage des
chambres de domestiques. La dernière, je le sus sans que Julián ait besoin de
rien dire, avait été celle de Jacinta Coronado. Julián s'approcha lentement,
avec crainte. C'était le dernier endroit où il avait vu Penélope, où il avait
fait l'amour avec une jeune fille d'à peine dix-sept ans, et c'était ici, dans
cette même cellule, qu'elle était morte quelques mois plus tard en se vidant de
son sang. Je voulus le retenir, mais il était déjà sur le seuil et contemplait
l'intérieur, absent à tout le reste. Je le suivis. La chambre n’était plus qu'un cube nu.
L'emplacement du lit était encore visible à travers la couche de poussière, sur
les lattes du plancher. Un enchevêtrement de taches noires au milieu de la
chambre. Julián observa ce vide pendant presque une minute, déconcerté. Je vis
dans regard qu'il avait du mal à reconnaître cet endroit, que tout lui
apparaissait comme un décor macabre et cruel. Je le pris par le bras et le
ramenai vers l'escalier.
    – Il n'y a rien ici, Julián,
murmurai-je. La famille a tout vendu avant son départ en Argentine.
    Julián acquiesça faiblement
Nous redescendîmes au rez-de-chaussée. Une fois là, il se dirigea vers la
bibliothèque. Les rayons étaient vides, la cheminée envahie de décombres. Les
murs, d'une pâleur de mort, ondulaient à la lumière du briquet. Les créanciers
et les usuriers avaient réussi à emporter jusqu'à la mémoire de ce lieu, qui
devait s'être perdue dans le labyrinthe d’un quelconque bric-à-brac.
    – Je suis venu pour rien,
murmurait Julián.
    C'est mieux ainsi, pensai-je.
Je comptais les secondes qui nous séparaient de la porte. Si je pouvais faire
en sorte qu'il s'éloigne de là et reste ainsi, à jamais poignardé par le vide,
nous avions peut-être encore une chance. Je laissai Julián s'imprégner de la
ruine de ce lieu, la graver dans son souvenir.
    – Il fallait que tu reviennes
et la revoies, dis-je. Maintenant, tu es sûr qu'il n'y a rien. C'est seulement
une vieille villa abandonnée, Julián. Rentrons à la maison.
    Il me regarda, blême, et
acquiesça. Je lui pris la main, et nous parcourûmes le couloir qui menait à la
sortie. La brèche de clarté n'était plus qu'à cinq ou six mètres. Je pus sentir
dans l'air l'odeur des feuilles mortes et de la pluie. Puis je perdis la main
de Julián. Je me retournai pour le trouver immobile, les yeux fixant
l'obscurité.
    – Qu'y a-t-il, Julián ?
    Il ne répondit pas. Il
contemplait, fasciné, l'ouverture d'un étroit corridor qui conduisait aux cuisines.
J'y allai et scrutai les ténèbres qu'éclairait vaguement la flamme bleue du
briquet. La porte au bout du corridor était condamnée : un mur de briques
rouges grossièrement assemblées par un mortier, dont les jointures

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