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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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sentis
envahie d'une fatigue indicible. Plus tard, quand la nuit fut tombée, nos
lèvres se rencontrèrent et, protégés par cette obscurité oppressante, nous nous
défîmes de nos vêtements qui sentaient la peur et la mort. Je voulus parler de
Miquel, mais le feu des mains de Julián sur mon ventre effaça ma honte et ma
douleur. Je voulais me perdre en elles et ne jamais revenir, tout en
sachant qu'au matin, épuisés et peut-être malades de mépris pour nous-mêmes,
nous ne pourrions nous regarder dans les yeux sans nous demander ce que nous
avions fait et ce que nous étions devenus.
     
     
     
     
    10
     
     
     
    A l'aube, le crépitement de la
pluie me réveilla. Le lit était vide, la chambre baignée de ténèbres grises.
    Je trouvai Julián assis devant
ce qui avait été la table de travail de Miquel, caressant les touches de la
machine à écrire. Il leva les yeux et m'adressa ce sourire doux et lointain qui
me disait qu'il ne serait jamais à moi. J'eus envie de lui cracher la vérité,
de le blesser. C’eût été si facile. De lui révéler que
Penélope était morte. Que j'étais désormais son seul bien sur cette terre.
    Je
m'agenouillai près de lui.
    – Ce que
tu cherches n'est pas ici, Julián. Partons. Tous les deux. Loin. Quand il est
encore temps.
    Julián me
regarda longuement, sans qu'un seul de ses traits bouge.
    – Tu sais
quelque chose que tu ne m'as pas dit, n'est-ce pas ? demanda-t-il.
    Je fis
signe que non, en ravalant ma salive. Julián hocha la tête.
    – Je
retournerai là-bas cette nuit.
    – Julián,
je t'en prie...
    – Je veux
être sûr.
    – Alors
j'irai avec toi.
    – Non.
    – La
dernière fois que je suis restée à attendre ici, j'ai perdu Miquel. Si tu y
vas, je viens.
    – Ce n'est
pas ton affaire, Nuria. Cela ne concerne que moi.
    Je me
demandai s'il se rendait vraiment compte du mal que me faisaient ses paroles,
ou si cela lui était égal.
    – C'est ce
que tu crois.
    Il voulut
me caresser la joue, mais j'écartai sa main.
    – Tu
devrais me haïr, Nuria. Ça te porterait chance.
    – Je sais.
    Nous
passâmes la journée dehors, loin des ténèbres oppressâmes de l'appartement où
régnait encore l'odeur des draps tièdes et de notre peau. Julián voulait voir
la mer. Je l'accompagnai à la Barceloneta, et nous nous rendîmes sur la plage
presque déserte, mirage couleur de sable qui se fondait dans la brume. Nous
nous assîmes près du rivage, comme le font les enfants et les vieux. Julián
souriait sans parler, seul avec ses souvenirs.
    Le soir,
nous prîmes un tramway près de l'Aquarium et nous montâmes par la rue Layetana
jusqu'au Paseo de Gracia, puis à la place de Lesseps, l'avenue de la
République-Argentine, et enfin le terminus de la ligne. Julián observait les
rues en silence, comme s'il craignait de perdre la ville à mesure qu'il la
parcourait. A mi-trajet, il me prit la main et la baisa sans rien dire. Il la
garda dans la sienne jusqu'au moment de descendre. Un vieil homme qui
accompagnait une petite fille vêtue de blanc nous regardait en souriant et nous
demanda si nous étions fiancés. Il faisait nuit noire quand nous prîmes la rue
Román Macaya en direction de l'avenue du Tibidabo. Une pluie fine teintait
d'argent les murs de pierre. Nous escaladâmes le mur de la propriété en passant
par-derrière, près des courts de tennis. La villa se dressait dans la pluie. Je
la reconnus tout de suite. J'avais lu la physionomie de cette maison sous tous
ses angles au fil des pages de Julián. Dans La Maison rouge , c'était une demeure sombre, plus grande au-dedans qu'au-dehors, qui
changeait lentement de forme, se multipliait en couloirs, galeries et mansardes
impossibles, en escaliers sans fin qui ne conduisaient nulle part et donnaient
sur des chambres obscures qui apparaissaient et disparaissent en une nuit,
emportant avec elles les sortilèges qui les habitaient sans qu'on les revoie
jamais. Nous nous arrêtâmes face à la porte d'entrée, fermée par une chaîne et
un cadenas gros comme le poing. Les fenêtres du rez-de-chaussée étaient
obturées avec des planches couvertes de lierre. L'air sentait les feuilles
moites et la terre mouillée. La pierre noire et visqueuse luisait comme le squelette
d'un grand reptile.
    Je voulus lui demander comment
il comptait franchir ce portail de chêne, semblable à celui d'une basilique ou
d'une prison. Julián tira un flacon de sa poche et le déboucha. Une vapeur
fétide en sortit et forma

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