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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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larmes, elle me tendit un petit paquet qui
contenait son cadeau et m'embrassa sur les deux joues.
    – S'il ne
vous plaît pas, on peut l'échanger, dit-elle.
    Je restai
seul avec mon père, contemplant la vaisselle des fêtes, l'argenterie et les
bougies qui se consumaient en silence.
    – Je suis
désolé, Daniel, dit mon père.
    Je haussai
les épaules sans mot dire.
    – Tu
n'ouvres pas ton cadeau ? demanda-t-il.
    Ma seule
réponse fut le claquement de porte dont j’accompagnai mon départ. Je descendis
l'escalier quatre à quatre et, quand je fus dans la rue déserte, baignée de
lumière bleue et de froid, je sentis mes larmes déborder. Mon cœur n'était plus
que poison, et ma vue se brouillait. Je marchai sans but, ignorant l'inconnu
qui m'observait, posté à la Puerta del Angel. Il portait le même costume noir,
la main droite dans la poche de sa veste. La braise de sa cigarette faisait,
par moments, scintiller ses yeux. En boitillant, il me suivit.
    J'errai
par les rues durant plus d'une heure jusqu'au moment où j'arrivai au pied du
monument de Christophe Colomb. Je traversai la place en direction du port et
m'assis sur les marches qui plongeaient dans l'eau noire, près du quai des
vedettes. Quelqu'un avait affrété un bateau pour une sortie nocturne, et l'on
entendait les rires et la musique qui flottaient sur les reflets de la darse. Je
me souvins des jours où nous faisions, mon père et moi, la traversée en vedette
jusqu'à la pointe de la jetée. De là, on pouvait voir le versant du cimetière,
sur la montagne de Montjuïc, et la ville des morts, infinie. Parfois j'agitais
la main, croyant que ma mère s'y trouvait et qu'elle nous voyait passer. Mon
père répétait mon salut. Cela faisait des années que nous ne prenions plus la
vedette, mais je savais qu'il lui arrivait de le faire seul.
    – Bonne
nuit pour le remords, Daniel, dit une voix derrière moi. Une cigarette ?
    Je me
levai d'un bond, le corps soudain glacé. Une main m'offrait une cigarette dans
le noir.
    – Qui
êtes-vous ?
    L'étranger
s'avança jusqu'à la limite de la pénombre en laissant son visage dans
l'obscurité. Un halo de fumée bleutée montait de sa cigarette. Je reconnus sur
le-champ ce costume noir et cette main cachée dans la poche de
la veste. Les yeux brillaient comme des éclats de verre.
    – Un ami,
dit-il. Ou du moins quelqu'un qui aspire à l'être. Cigarette ?
    – Je
ne fume pas.
    – Tu as
raison. Malheureusement, je n'ai rien d'autre à t'offrir, Daniel.
    Sa voix
était rocailleuse, blessée. Elle faisait traîner les mots et le son en était
amorti et lointain, comme celui des vieux soixante-dix-huit tours que
collectionnait Barceló.
    – Comment
savez-vous mon nom ?
    – Je
sais beaucoup de choses de toi. Pas seulement le nom.
    – Que
savez-vous d'autre ?
    – Je
pourrais te faire honte, mais je n'en ai ni le temps ni l'envie. Je serai
bref : je sais que tu possèdes quelque chose qui m'intéresse. Et je suis
prêt à t'en donner un bon prix.
    – Je
crois que vous faites erreur sur la personne.
    – Non,
je ne fais jamais d'erreurs sur les personnes. Pour d'autres choses, oui, mais
pas pour les personnes. Combien en veux-tu ?
    – De
quoi ?
    – De
L'Ombre du Vent
    – Qu'est-ce
qui vous fait penser que je l'ai ?
    – La
question n'est pas là, Daniel. Tout ce que je veux savoir, c'est le prix. Je
sais depuis longtemps que tu l'as. Les gens parlent. Moi, j'écoute.
    – Alors
vous avez dû mal entendre. Je n'ai pas ce livre. Et si je l'avais, je ne le
vendrais pas.
    – Ton
intégrité est admirable, surtout en ces temps de jésuites et de lèche-cul, mais
inutile de jouer la comédie avec moi. Donne ton prix. Cinq mille pesetas ?
Pour moi, l'argent n'est pas un problème. Dis-moi ton prix.
    – Je vous
le répète : il n'est pas à vendre, et je ne l'ai pas. Vous voyez, vous
avez commis une erreur.
    L'étranger
garda le silence, immobile, enveloppé dans la fumée de cette cigarette qui
semblait ne jamais se terminer. Je remarquai que ça ne sentait pas le tabac,
mais le papier brûlé. Du bon papier, du papier de livre.
    – C'est
peut-être toi qui commets une erreur, en ce moment, suggéra-t-il.
    – Vous
me menacez ?
    – C'est
possible.
    Je ravalai
ma salive. J'avais beau jouer les fiers, cet individu me terrorisait.
    – Et
je peux savoir pourquoi ce livre vous intéresse tant ?
    – Ça,
c'est mon affaire.
    – La
mienne aussi, puisque vous me menacez pour que je vous vende ce

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