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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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déclarait agnostique (ce que Bernarda soupçonnait être une affection
respiratoire comme l'asthme, mais chez les Messieurs de la haute société),
était d'avis qu'il était mathématiquement impossible que sa domestique commette
assez de péchés pour maintenir un tel rythme de confession.
    – Mais tu
es bonne comme la romaine, Bernarda, disait-il, indigné. Ces gens qui voient le
péché partout ont l'âme malade, et si tu veux vraiment savoir, les intestins
aussi. La condition de base du bigot ibérique est la constipation chronique.
    En
entendant de tels blasphèmes, Bernarda se signait cinq fois de suite. Plus
tard, dans la nuit, elle récitait une prière particulière pour l'âme polluée de
M. Barceló qui, comme Sancho Pança, avait le cœur bon mais le cerveau pourri
par toutes ses lectures. De Pâques aux Rameaux, Bernarda se trouvait des
fiancés qui la battaient, lui soutiraient le peu de sous qu'elle plaçait à la
caisse d'épargne et, tôt ou tard, la laissaient en plan. Chaque fois qu'une de
ces crises se produisait, elle s'enfermait dans sa chambre, au fond de
l'appartement, pleurait des jours durant et jurait qu'elle allait se suicider
avec de la mort-aux-rats ou avaler une bouteille d'eau de Javel. Barceló, après
avoir dépensé des trésors de persuasion, s'affolait pour de bon et se résignait
à appeler le serrurier de garde pour ouvrir la porte de la chambre et le
médecin de famille pour administrer à Bernarda un somnifère de cheval. La
pauvre se réveillait deux jours plus tard, et le libraire lui achetait des
roses, des bonbons, une robe neuve et l'emmenait au cinéma voir un film de Cary
Grant, qui selon elle était l'homme le plus beau de l'Histoire, après José
Antonio, le fondateur de la Phalange.
    – Vous
savez qu'on dit que Cary Grant est de la jaquette ?... chuchotait-elle, en
grignotant des chocolats. Comment est-ce possible ?
    –
Sottises, affirmait Barceló. Les croquants et les paltoquets passent leur vie à
jalouser les autres.
    – Comme
Monsieur parle bien. On voit qu'il a été à cette université du Sorbet.
    – De la
Sorbonne, corrigeait Barceló, sans acrimonie.
    Il était
très difficile de ne pas aimer Bernarda. Sans que personne lui ait rien
demandé, elle faisait pour moi de la couture et des petits plats. Elle
reprisait mes habits, me peignait, me coupait les cheveux, m'achetait des
vitamines et du dentifrice, et elle me fit même cadeau d'un flacon en cristal
rempli d'eau bénite rapportée de Lourdes en autocar par sa sœur qui vivait à
San Adrián del Besós. Parfois, tandis qu'elle explorait mes cheveux à la recherche
de lentes ou autres parasites, elle m'entretenait à voix basse.
    –
Mademoiselle Clara est une des merveilles du monde, et que Dieu me fasse tomber
morte si jamais je la critique, mais ce n'est pas bien que le petit monsieur
s'obsessionne avec elle, si vous comprenez ce que je veux dire.
    – Ne
t'inquiète pas, Bernarda, nous sommes juste amis.
    – C'est
bien ça qui me tracasse. Pour illustrer son propos, Bernarda se mettait alors à
me raconter une histoire qu'elle avait entendue à la radio, où il était question
d'un garçon qui était tombé amoureux de son institutrice et à qui un sortilège
justicier avait fait perdre les cheveux et les dents, tandis que sa figure et
ses mains se couvraient de champignons vengeurs, une sorte de lèpre du
libidineux.
    – La luxure
est un vilain péché, concluait Bernarda. Croyez-moi.
    M.
Gustavo, malgré les plaisanteries dont il me gratifiait, voyait d'un bon œil ma
dévotion pour Clara et mon enthousiasme à lui tenir
lieu de chevalier servant. J’att ribuais sa
bienveillance au fait qu'il devait me trouver inoffensif. Soir après soir, il
continuait à me faire des offres alléchantes
pour s'approprier le roman de Carax Il me disait qu'il en avait discuté avec
des collègues de la confrérie des libraires d'ancien et que tous étaient d'accord :
un Carax, aujourd'hui, pouvait valoir une fortune, spécialement en France. Je lui disais
toujours non, et il se bornait à sourire
d'un air matois. Il m'avait donné un double des clefs de l'appartement pour que
je puisse entrer et sortir sans dépendre de sa présence ou de celle de
Bernarda. Du côté de mon père, c'était une autre paire de manches. Avec les
années, il avait surmonté ses réticences congénitales à aborder
tous les sujets qui le préoccupaient vraiment. L'une des premières conséquences
de ce progrès fut qu'il

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