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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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était sortie, et mon père
s'est mis dans une colère folle. Il a hurlé jusqu'à quatre heures du matin en 
la traitant de traînée, jurant qu'il allait l'envoyer dans un couvent et que, si elle se faisait mettre
enceinte, il la jetterait à coups de
pied dans la rue comme une putain.
    Fermín me lança un coup d'œil d'avertissement Je senti s la température des gouttes de sueur
qui me coulaient dans le
dos baisser de plusieurs degrés.
    – Ce matin, poursuivit Tomás, Bea s'est enfermée dans sa chambre et ne l'a pas quittée de toute la journée.
Mon père s'est planté dans le salon en lisant des magazines et en écoutant des
opérettes à la radio, pous se à son
maximum. A l'entracte de Luisa
Fernanda , j’ ai dû
sortir parce que je devenais fou.
    – Bah, votre
sœur était sûrement avec son petit ami, non ? plaisanta Fermín. Rien de
plus naturel.
    Je lui
expédiai derrière le comptoir un coup de pied qu’il évita avec une agilité de
chat.
    – Son
fiancé fait son service militaire, précisa Tomás. Il n'aura pas de permission avant quinze jours.
D'ailleurs, quand elle sort avec lui, elle est de retour à hui t heures
au plus tard.
    – Et vous
n'avez pas une idée de l'endroit où elle est allée et en quelle
compagnie ?
    – Il vous
a déjà dit que non, Fermín, m'interposai-je pressé de changer de sujet.
    – Et votre
père non plus ? insista Fermín, manifestement aux anges.
    – Non.
Mais il a juré de tirer ça au clair, et de casser les jambes et la figure au
coupable dès qu'il saura qui il est.
    Je devins
livide. Fermín me servit une tasse de son breuvage sans poser d'autres questions. J'avalai d'un trait
le liquide au goût de gasoil tiède. Tomás m'observait en silence, impénétrable.
    – Vous avez entendu ? dit soudain Fermín. Ça ressemble au roulement
de tambour avant le saut de la mort.
    – Non.
    – C'est le ventre de votre serviteur qui gargouille. Écoutez, j'ai une de
ces faims... Ça ne vous gêne pas si je vous laisse seuls un moment ? Je
voudrais faire un tour à la crémerie voir si je peux avoir quelque chose pour
casser la croûte. Sans compter qu'il y a une nouvelle vendeuse qui vient de
Reus et qui a tout ce qu'il faut pour donner du goût au pain. Elle s'appelle
Maria Virtudes, mais en fait de vertus, elle a du vice, la garce... Comme ça
vous pourrez parler tranquillement, pas vrai ?
    Dix secondes plus tard, comme par magie, Fermín avait disparu en direction
de son casse-croûte et à la rencontre de la nymphe. Tomás et moi nous
retrouvâmes seuls dans un silence qui promettait d'être plus solide que le
franc suisse.
    – Tomás, commençai-je, la bouche sèche. Hier soir, ta sœur était avec moi.
    Il me dévisagea, presque sans sourciller. J'avalai ma salive.
    – Dis quelque chose, l’implorai-je.
    – Tu dérailles.
    Une minute s'écoula, durant laquelle on n'entendit que les rumeurs de la
rue. Tomás gardait sa tasse toujours pleine dans la main.
    – Tu es sérieux ? demanda-t-il.
    –Je ne l'ai vue qu'une fois.
    – Ça n'est pas une réponse.
    – Tu es fâché ?
    Il haussa les épaules.
    – Je suppose que tu sais ce que tu fais. Tu cesserais de la voir, si je te
le demandais ?
    – Oui, mentis-je. Mais ne me le demande pas.
    Tomás baissa la tête.
    – Tu ne connais pas Bea, murmura-t-il.
    Je me tus. Nous laissâmes passer plusieurs minutes sans prononcer un mot, absorbés dans la contemplation d es formes grises qui examinaient la vitrine, priant pour que l'une d'elles se décide à entrer et nous tire de ce silence empoisonné. Enfin, Tomás posa la tasse sur le comptoir et se dirigea vers
la porte.
    – Tu t'en vas déjà ?
    Il fit signe que oui.
    – On se verra demain ? dis-je. On pourrait aller au cinéma, avec
Fermín, comme avant.
    Il s'arrêta sur le seuil.
    – Je ne te le dirai qu'une fois, Daniel : ne fais pas de mal à ma
sœur.
    En sortant, il croisa Fermín qui revenait avec un sac de pâtes fumantes.
Fermín le regarda disparaître dans la nuit et hocha la tête. Il posa ses
provisions sur le comptoir et m'offrit un gâteau tout frais. Je déclinai
l'offre. Je n'aurais pas été capable d'avaler une aspirine.
    – Ça lui passera, Daniel. Vous verrez. Entre amis, ces choses-là sont
normales.
    – Je ne sais pas, soufflai-je.
     
     
     
     
     
     
    11
     
     
     
     
    Le dimanche, nous nous retrouvâmes à sept heures du matin au café
Canaletas, où Fermín me régala d'un café au lait et de brioches dont

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