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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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essayant
de comprendre pour quelle raison Nuria Monfort m'avait abusé. Que signifiait le
fait qu'elle soit allée prendre, des années d urant, le
courrier adressé à un cabinet d'avocats inexistant censé
gérer l'appartement de la famille Fortuny-Carax ? Je ne m'aperçus pas que
je formulais mes doutes à haute voix.
    – Nous
ignorons encore pourquoi cette femme vous a menti, dit Fermín. Mais nous
pouvons supposer que si elle l'a fait sur ce point, elle a pu le faire – et ne
s'en est pas privée – sur beaucoup d'autres.
    Je
soupirai, consterné.
    – Que
suggérez-vous, Julián ?
    A son
tour, Julián Romero de Torres soupira en prenant un air hautement philosophique.
    – Je vais vous le dire. Dimanche, si vous êtes
d'accord, nous irons faire un petit tour, mine de rien, au collège San Gabriel,
et nous nous livrerons à quelques investigations sur les origines de l'amitié
entre ce Carax et l'autre gars, le richard...
    – Aldaya.
    – Vous
verrez, je sais très bien m'y prendre avec les curés, malgré ma gueule de moine
débauché ou peut-être à cause d'elle. Quatre flatteries, et je les mets dans ma
poche.
    – Ce qui
veut dire ?
    – Ce qui
veut dire, mon garçon, qu'ils vont chanter comme la Chorale de Montserrat.

 
     
     
     
     
    10
     
     
     
     
    Je passai
le samedi dans les transes, derrière le comptoir de la librairie, en espérant à
chaque instant voir Bea apparaître à la porte comme par enchantement. Dès que
le téléphone sonnait, je me précipitais pour r épondre, arrachant le combiné des mains de mon père ou de Fermín. Au milieu de l'après-midi, après un e vingtaine d 'appels de
clients et toujours sans nouve lles de Bea, je commençai à accepter que le monde et ma misérable existence soient proches de leur fin. Mon père estimait une bibliothèque à San Gervasio, et Fermín en profita pour m'administrer une autre de ses leçons magistrales sur les mystères des intrigues amou reuses.
    – Reprenez -vous, ou vous allez vous retrouver avec un ulcère, me conseilla-t-il. Faire sa cour,
c'est comme danser le tango : absurde
et tout en fioritures. Mais vous êtes l'homme, et
l'initiative vous revient.
    Les choses
commençaient à prendre une tournure funeste.
    – L'initiative ? Moi ?
    – Que voulez-vous ? Il faut bien payer le privilège de pisser debout.
    – Mais
puisque Bea m'a fait comprendre qu'elle me ferait signe.
    – Vous ne
connaissez guère les femmes, Daniel. Je parie tout ce que vous voudrez que la
donzelle est en ce moment chez elle, en train de guetter langoureusement par la
fenêtre, style Dame aux Camélias, dans l'espoir de vous voir arriver pour la
sauver de la barbarie de monsieur son père et l'entraîner dans une spirale
irrésistible de stupre et de luxure.
    – Vous en
êtes sûr ?
    – C'est
scientifique.
    – Et si
elle avait décidé de ne plus jamais me r evoir ?
    – Écoutez,
Daniel. Les femmes, à part quelques exceptions qui confirment la règle comme
votre voisine Merceditas, sont plus intelligentes que nous, ou en tout cas plus
sincères avec elles-mêmes quand il s'agit de savoir ce qu'elles veulent. Ça n'a
rien à voir avec ce qu'elles vous disent, à vous ou au reste du monde. Vous
affrontez une énigme de la nature, Daniel. La femme, c'est Babel et labyrinthe.
Si vous la laissez réfléchir, vous êtes perdu. Souvenez-vous-en : cœur
chaud, tête froide. L'a b c du séducteur.
    Fermín
s'employait à me détailler les particularités et les techniques de l'art de la
séduction quand la clochette de la porte retentit et nous vîmes entrer mon ami
Tomás Aguilar. Mon cœur fit un bond dans ma poitrine. La providence me refusait
Bea mais m'envoyait son frère. Tomás avait le visage sombre et un air abattu.
    – Eh bien,
en voilà une mine funèbre, monsieur Tomás, commenta Fermín. Vous accepterez
bien quand même un petit café ?
    – Je ne
dirai pas non, dit Tomás, avec sa réserve habituelle.
    Fermín
s'affaira à lui servir une tasse de la mixture qu'il conservait dans un thermos
et qui répandait un arôme suspect de xérès.
    – Tu as
des soucis ? demandai-je.
    Tomás
haussa les épaules.
    – Rien de
nouveau. Mon père est dans ses mauvais jours, et j'ai préféré sortir un moment
prendre l'air.
    Je
déglutis.
    – Et
pourquoi ?
    – Va
savoir. Cette nuit, ma sœur Bea est rentrée très tard. Mon père l'attendait,
dans tous ses états, comme toujours. Elle a refusé de dire d’où elle venait et
avec qui elle

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