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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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une pause dramatique, en m'adressant son regard le plus
machiavélique.
    – Il semble donc que Carax, faisant une fois de plus la preuve de son
remarquable esprit d'à-propos, repasse la frontière et revient à Barcelone en
1936, juste au moment où éclate la guerre civile. Ses activités et son domicile
à Barcelone au cours de ces semaines sont inconnus. Nous supposons qu'il reste
un mois dans la ville sans joindre aucune de ses connaissances. Ni son père, ni
son amie Nuria Monfort. Un peu plus tard, on le trouve mort dans la rue,
assassiné d'un coup de feu. Peu après, on voit se présenter le sinistre
personnage qui se fait appeler Laín Coubert, nom qu'il a emprunté à un
personnage du dernier roman de Carax, et qui, n’en jetez plus, n'est autre que
le prince des enfers. Ce prétendu diable déclare son intention d'effacer de la
carte le peu qui demeure de Carax en détruisant à jamais ses livres. Pour finir
de porter le mélodrame à son comble, il apparaît sous la forme d'un homme sans
visage, défiguré par les flammes. Un affreux échappé d'un opéra romantique, en
qui, pour embrouiller encore un peu les choses, Nuria Monfort croit reconnaître
la voix de Jorge Aldaya.
    – Je vous rappelle que Nuria Monfort m'a menti, fis-je remarquer.
    – C'est vrai, mais on ne peut écarter le fait que si Nuria Monfort vous a
menti, c'est surtout par omission, ou peut-être pour ne pas trop s'impliquer
dans l'affaire. Les raisons de dire la vérité sont limitées, mais le nombre de
celles qui poussent à mentir est infini. Dites-moi, vous êtes sûr que vous vous
sentez bien ? Votre visage a la pâleur d'un téton de Galicienne.
    Je fis non de la tête et me précipitai vers les toilettes.
    Je rendis le petit déjeuner, le dîner et, avec, une bonne partie de la
colère que je portais en moi. Je mis ma tête sous le robinet, fis couler l'eau
glacée et contemplai mon visage dans la glace lépreuse sur laquelle quelqu'un
avait griffonné au crayon gras l'inscription : « Girón,
salopards. » En revenant à notre table, je trouvai Fermín au comptoir,
payant l'addition et discutant football avec le garçon qui nous avait servis.
    – Ça va mieux ? me demanda-t-il.
    Je fis signe que oui.
    – Baisse de tension, dit Fermín. Prenez un Sugus, ça guérit de tout.
    E n sortant du café, Fermín insista pour
que nous empruntions un taxi jusqu'au collège San Gabriel plutôt que le métro,
arguant qu'il y avait une semaine de fresques murales commémoratives et que les
tunnels étaient faits pour les rats.
    – Un taxi
jusqu'à Sarriá coûtera une fortune, objectai-je.
    – C'est
aux frais de la bêtise humaine, trancha Fermín. Le patriote s'est trompé en me
rendant la monnaie, et à mon avantage. D'ailleurs vous n'êtes pas en état de
voyager sous terre.
    Nantis ainsi de fonds illicites, nous nous postâmes au bas de la Rambla de
Cataluña et attendîmes la venue d'un taxi. Nous dûmes en laisser passer un
certain nombre, Fermín ayant déclaré que, pour une fois qu'il montait dans une
automobile, il lui fallait au moins une Studebaker. Le véhicule qui trouva
grâce à ses yeux et se rendit à ses gesticulations désordonnées nous fit faire
le trajet en un quart d'heure. Fermín insista pour monter à l'avant, ce qui lui
donna l'occasion de se lancer avec le chauffeur dans une discussion sur l'or de
Moscou et Joseph Staline, lequel était l'idole et le guide spirituel à distance
dudit chauffeur.
    – Trois grandes figures dominent ce siècle : Dolores Ibárruri,
Manolete et Staline, proclama notre automédon, prêt à nous gratifier d'une
hagiographie détaillée de l'illustre camarade.
    J'étais confortablement installé sur la banquette arrière, indifférent à
leurs échanges oratoires, profitant de l'air froid qui entrait par la vitre
baissée. Enchanté de rouler en Studebaker, Fermín donnait la réplique,
ponctuant de temps à autre de questions passablement oiseuses le curriculum
intime du leader soviétique dont se gargarisait le chauffeur.
    – Pourtant, je me suis laissé dire qu'il souffre beaucoup de la prostate depuis
qu'il a avalé un noyau de nèfle, et qu'il ne peut plus uriner si on ne lui joue
pas l'Internationale, laissa tomber Fermín.
    – Propagande fasciste, affirma le chauffeur, plus dévot que jamais. Le
camarade pisse comme un taureau. La Volga aimerait bien avoir un débit comme le
sien.
    Cette discussion d'un haut niveau politique nous accompagna tout au long
de la Via

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