Londres, 1200
le Périgord. Son royaume atteindrait alors l’océan et
le comté de Toulouse. Il serait le plus grand de la chrétienté.
Mais si Philippe Auguste était un roi ambitieux,
calculateur et visionnaire, il était aussi un roi prudent. Pour l’instant,
Arthur était quasiment vaincu. Aussi, quand le roi Jean lui avait proposé de le
rencontrer pour parler de leurs royaumes, il avait accepté.
Les deux monarques s’étaient parlé entre Gaillon
et Andely après la fête de Jean-Baptiste, alors même que Guilhem d’Ussel et
Robert de Locksley venaient de quitter Poitiers. Ils avaient décidé d’une trêve
jusqu’au lendemain de l’Assomption de la Vierge Marie.
Mais, à peine de retour à Paris, Philippe Auguste
avait appris que Jean préparait en secret un traité contre lui avec le comte de
Flandre. Cela ne l’avait pas étonné, la félonie de celui qu’on surnommait Lackland lui était familière. Ne lui avait-il pas vendu la liberté de Richard quand il
voulait se débarrasser de son frère ? N’avait-il pas essayé de le faire
assassiner à Notre-Dame quelques mois plus tôt avec la complicité de templiers
félons [12] ?
Ces forfaitures étaient finalement de peu
d’importance, jugeait le roi de France, car le jeune Arthur et sa mère,
arrivant à Paris, lui avaient appris une nouvelle qui pouvait tout changer.
C’est pour cette raison qu’il venait de réunir le conseil de ses plus proches
fidèles.
Dans l’immense chambre de justice ogivale érigée
dans le Palais, le long de la Seine, Philippe Auguste, sur son trône, avait à
sa droite son fils Louis, associé désormais aux affaires du royaume bien qu’il
n’ait que treize ans. Devant eux, sur des chaises curules plus basses, se
tenaient ses conseillers. Avec la chaleur d’enfer qui régnait dans Paris, tous
appréciaient la fraîcheur de la salle au sol jonché d’herbe coupée.
Le roi de France avait un visage carré et des
traits agréables, malgré un œil à demi fermé depuis qu’il avait eu la suette.
La quarantaine approchante, il se tenait encore droit et sa longue moustache
n’avait aucun fil gris. En ample robe bleue parsemée de fleurs de lys, il ne
portait pas d’arme, mais un sceptre d’or terminé par une fleur de lys. Ses
cheveux longs et clairsemés étaient serrés dans une couronne de fer et d’or.
Son jeune fils Louis, qui lui ressemblait étonnamment, même s’il était fluet
avec un visage plus doux, était revêtu de la même robe bleue.
Sur leur gauche se trouvait le sage frère Guérin,
chevalier hospitalier ayant rang de chancelier car il rédigeait les chartes et
les décisions royales à transmettre aux barons, aux baillis et aux prévôts.
Frère Guérin était le principal ministre de Philippe Auguste et s’occupait des
affaires politiques ou diplomatiques. Son simple bliaut noir à la croix blanche
des gardiens des pauvres [13] contrastait avec la cuirasse maclée de son voisin Cadoc qui portait comme
toujours son épée haut sur la poitrine. Lambert de Cadoc n’était qu’un
mercenaire, un ancien chef de Brabançons qui avait terrorisé la Normandie, le
Poitou et le Limousin. Sa rapacité le rendait méprisable, mais Philippe Auguste
l’appréciait, car Cadoc lui offrait sans barguigner la moitié de ses rapines,
et le roi de France avait continuellement besoin d’argent. De surcroît, le
courage et l’adresse du mercenaire étaient indéniables. N’avait-il pas été le
seul des barons du roi à blesser Richard Cœur de Lion d’un carreau d’arbalète
lors d’un siège ?
Près de Cadoc se trouvait Philippe Hamelin, le
prévôt de Paris. Hamelin collectait les impôts et les taxes, assurait la police
des marchandises, avait en charge le guet et la garde des portes de la ville,
et enfin s’occupait de la construction des fortifications.
Chef de la noblesse parisienne, il était pour
l’instant dans une position affaiblie, car le roi avait fait pendre un de ses
lieutenants, Thomas, pour avoir trop durement réprimé une révolte de clercs.
En face de frère Guérin, sur une chaise un peu
plus haute que les autres, était assis Guillaume de Champagne, que l’on
appelait Guillaume aux Blanches Mains. Archevêque de Reims et cardinal, parent
du roi, c’est lui qui avait sacré Philippe à Reims. Premier duc et pair du
royaume, il était le frère de Thibaut de Blois, le dernier sénéchal de France
mort à la croisade quelques années plus tôt. À soixante-dix ans, Guillaume
Weitere Kostenlose Bücher