Londres, 1200
sonorités depuis qu’il
voyageait avec les gens de Robert de Locksley. C’était du saxon.
Les adversaires se turent en apercevant leur
seigneur dans la lumière du feu allumé près de la grange où logeaient les
cathares.
— Anna Maria, attends-moi près de nos
bagages. Guilhem, laisse-moi, ordonna Robert.
Guilhem et Sanceline s’éloignèrent aussi. L’une
des servantes leur avait installé une couche sous un auvent près de la rivière.
— Pourquoi se disputaient-ils ? demanda
Sanceline quand ils furent seuls.
— Je crains de l’avoir deviné, ma mie. J’en
parlerai demain avec Robert.
Ils ne partirent qu’à la relevée [10] , car il y avait un marché le
matin. Pendant que Geoffroi le tavernier et quelques-unes des femmes achetaient
du poisson salé et des fèves, les Saxons se baignèrent dans la Vienne avec les
tisserands. La dispute paraissait oubliée.
Plus tard, ce fut Robert de Locksley qui en parla
à son ami alors qu’ils chevauchaient en avant-garde.
— C’étaient Regun et Ranulphe, dit-il. Tu
devines pourquoi…
— Ils veulent rentrer en Angleterre ?
— Non, pas encore… répliqua Locksley avec un
brin de fatalisme.
Il resta silencieux un moment, apparemment
préoccupé, avant d’expliquer dans une sorte de monologue.
— Nous autres Saxons avons été vaincus par
les Normands. Notre peuple s’est malgré tout mélangé avec nos envahisseurs,
mais aucun Saxon n’occupe de charge importante dans le royaume. Autour du grand
justicier et à la cour de Jean, il n’y a que des Normands. Les gens de basse
condition sont toujours des Saxons.
« Ceux d’entre nous de noble lignage sont
longtemps restés enfermés dans leur château, repoussant avec mépris les mœurs
que les Normands nous avaient apportées, puis Richard est devenu roi et
beaucoup d’enfants de ces vieilles familles se sont rangés avec ardeur sous les
bannières du Cœur de Lion qui était pour nous un modèle de chevalier. À cette
époque, je n’étais qu’un hors-la-loi dans la forêt de Sherwood, je t’ai raconté
ma vie. Puis j’ai rencontré Richard qui m’a rendu mes droits. Je l’ai aimé et
admiré, et je l’aurais peut-être rejoint en France s’il n’y avait eu Marianne.
Mais elle est morte et j’ai tout abandonné pour aller en Palestine.
« C’est là-bas que j’ai retrouvé Cédric de
Beaujame, le père de Ranulphe, qui est mort dans mes bras au cours d’une
bataille. Eldorman était son beau-frère, Lui, c’est la suette qui l’a tué. Nous
n’étions pas parents, mais tous deux avaient épousé des sœurs avec qui j’avais
un aïeul en commun. Quand je suis revenu, j’ai pris soin de leurs enfants,
puisque par leur mère nous étions du même lignage. Les deux garçons n’avaient
plus rien, car leurs pères s’étaient endettés pour partir en Palestine et leur
débiteur avait saisi leurs terres. Ils voulaient rejoindre Richard et brûlaient
de se distinguer pour être adoubés chevalier, mais ne pouvaient le faire
puisqu’ils n’avaient ni haubert ni monture ! Je leur ai proposé de se
mettre à mon service comme écuyers et ils m’ont prêté hommage, mais je voyais
bien qu’ils s’ennuyaient. Aussi, quand j’ai dû me rendre en France pour plaider
ma cause auprès de dame Aliénor au sujet du scutum [11] de mon domaine, je leur ai
demandé de m’accompagner et je les ai équipés. J’ai aussi pris trois de mes
meilleurs archers, Godefroi, Gilbert et Cédric. Henry, lui, était le seul
serviteur qui restait à Ranulphe.
« C’est Ranulphe qui était avec moi à Châlus.
Après mon départ, il est resté avec Aliénor qui a apprécié sa loyauté et son
dévouement. Aussi, quand les partisans d’Arthur se sont révoltés et qu’elle
manquait de soutiens, elle a demandé à mes écuyers de lui prêter hommage et
d’entrer à son service. Elle devait penser que je ne reviendrai jamais et leur
a promis hamois, haubert et destrier. Ranulphe était tenté, il me l’a dit.
Servir la mère du roi d’Angleterre était inespéré pour un Saxon pauvre comme
lui, mais son cousin Regun lui a rappelé qu’il s’était donné à moi. Ils m’ont
donc attendu. Seulement, maintenant que nous nous éloignons de Poitiers et de
l’Angleterre, Ranulphe pense qu’il a laissé échapper une occasion unique d’être
équipé et de devenir chevalier d’Aliénor. Hier soir, il voulait convaincre mes
Saxons de me demander de les laisser rejoindre Aliénor,
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