L'or de Poséidon
personnelles pour solliciter un avancement dans l’ordre social devaient être déposées auprès du chambellan du palais, et l’éventuel impétrant devait souvent attendre la réponse pendant des mois. On disait pourtant que la révision des listes de l’ordre Équestre et de l’ordre Sénatorial était devenue une priorité des Flaviens. L’un des premiers actes de Vespasien avait d’ailleurs été de s’autoproclamer Censeur afin de mener à bien un recensement dans le but de faire une réforme des impôts. Il tenait également à injecter un sang nouveau dans les deux ordres dont certains membres étaient choisis pour tenir des emplois publics. Il avait ses propres convictions sur les gens qu’il convenait d’ajouter à ces listes, mais il appréciait par ailleurs le talent naturel des Romains pour se pousser en avant. Il eût d’ailleurs été fort mal venu qu’il le méprisât, ce talent, puisque lui-même, membre assez méprisé du Sénat, était parvenu à se pousser suffisamment en avant pour devenir empereur.
Ajouter mon parchemin à la montagne qui se trouvait déjà chez le chambellan ne correspondait pas vraiment à mon tempérament. Comme j’étais connu en tant qu’agent impérial, j’en profitai pour pénétrer dans le palais avec l’air de celui qui a le cerveau tout plein d’une affaire d’État, et je pris le plus grand soin d’ignorer la longue file d’attente.
J’espérais qu’un bon dîner allait avoir mis le vieil empereur de bonne humeur. Il commençait à travailler tôt et finissait tard. Sa qualité principale était d’exiger que les choses se fassent, et il donnait l’exemple. Je savais d’expérience que son humeur s’améliorait toujours le soir – c’était donc le meilleur moment pour lui demander des faveurs. Ce fut donc le soir que je me présentai, drapé dans ma toge et chaussé de mes meilleures bottes, bien rasé (mais pas d’assez près pour paraître efféminé), prêt à lui rafraîchir la mémoire sur les missions que j’avais accomplies pour lui avec succès et sur ses vieilles promesses.
Comme d’habitude, la chance avait oublié de m’accompagner : Vespasien ne se trouvait pas à Rome.
Les Flaviens formaient une équipe familiale soudée. Avoir deux fils adultes – ce qui permettait d’espérer une longue période de stabilité – avait été l’un des avantages de Vespasien. Son fils aîné Titus était devenu son associé à part entière, et même le plus jeune, Domitien, accomplissait sa part de devoirs officiels. Au moment où je me présentai pour mendier une faveur, les deux fils travaillaient. Le chambellan, qui me connaissait depuis longtemps, me demanda de choisir quel César je voulais voir. Avant d’avoir pris une décision, je savais que le meilleur choix était de tourner les talons – mais je m’étais tellement motivé pour arriver jusqu’ici que j’étais incapable de renoncer aussi abruptement à ma démarche.
Je ne pouvais pas non plus demander à Titus (qui avait toujours regardé Helena Justina d’un œil intéressé), de m’accorder une promotion qui me permettrait d’enlever la fille moi-même. Il n’y avait jamais rien eu entre eux (autant que je puisse le supposer), mais sans ma présence, il y aurait eu à coup sûr. Titus était d’un naturel avenant, mais je déteste pousser un homme au-delà des limites du raisonnable. À l’occasion, il faut savoir faire preuve de tact.
— Je souhaite voir Domitien.
— C’est le meilleur choix. Il est maintenant chargé de l’attribution des postes officiels !
Le personnel du palais en faisait des gorges chaudes. L’ardeur que mettait le jeune César à distribuer des charges à tout va avait poussé son aimable père à le critiquer.
Même en ayant évité de faire la queue, je dus attendre un certain temps. Je commençais à me dire que j’aurais dû apporter une des encyclopédies du juge pour lire, ou en profiter pour rédiger mon testament, quand mon tour arriva. J’entrai donc sans hésiter.
Domitien César avait 22 ans. Beau, aussi solide qu’un bouvillon, frisé, il avait malheureusement des orteils en marteau. Élevé par les femmes, alors que son père et Titus accomplissaient des missions officielles, il était loin de posséder les bonnes dispositions de son frère aîné. Cet être introverti affichait l’air obstiné qu’on rencontre plus souvent chez les fils uniques. Il avait commis nombre de fautes lors de ses
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