L'or de Poséidon
fièrement, en plaçant une coupe à deux pouces de mon coude.
Il l’accompagna tout de suite d’une coupelle contenant exactement vingt amandes.
Impossible de se soûler dans un cadre aussi immaculé. En outre, les bonnes manières m’empêchaient de forcer cette âme redevenue rayonnante à écouter mes pathétiques divagations – et encore moins à passer la serpillière après mon départ. Je parvins à parler de tout et de rien pendant un petit moment, puis vidai ma coupe. Au moment où je m’en allais, une femme sortit de la pièce de derrière ; les manches retroussées, elle s’essuyait les mains à une serviette.
Pendant un bref instant, je crus qu’il s’agissait de ma mère. Elle était petite, soignée, et je lus étonné de constater qu’elle avait des cheveux gris. Dans son visage vif, ses yeux fatigués considéraient les hommes avec une grande méfiance.
Bien qu’elle m’ait vu, j’aurais quand même pu partir. Je préférai cependant prendre une profonde inspiration :
— Tu dois être Flora ? (Elle ne répondit pas.) Je suis Falco.
— Le jeune fils de Favonius.
Son commentaire m’arracha un sourire ironique. Penser que mon père s’était précipité vers une nouvelle vie auprès d’une femme qui persistait à utiliser son ancien nom.
Elle devait se demander si je représentais une menace quelconque. Sans doute Festus, quand il était parmi nous, l’avait-il quelque peu inquiétée… Elle dut cependant comprendre très vite que j’étais différent.
— Puis-je te demander de donner un message à mon père ? Une mauvaise nouvelle pour moi. Dis-lui que je suis allé au palais et qu’on m’a proprement éconduit. Je lui suis reconnaissant, mais je n’aurai pas besoin de son prêt.
— Il va être très déçu, affirma la rouquine qui n’était plus rouquine.
Je refoulai la colère qui montait en moi à la pensée qu’ils avaient discuté de moi tous les deux.
— Nous y survivrons tous, déclarai-je, comme si nous formions une glorieuse famille unie.
— Une autre occasion se présentera peut-être, ajouta Flora d’une voix posée, comme une lointaine parente cherchant à consoler un homme encore jeune qui vient de lui raconter que cette journée a été la pire de sa vie.
Je remerciai Apollonius pour la coupe de vin et me rendis chez ma mère.
J’entendis trop de voix à l’intérieur, je n’avais aucune envie d’entrer.
Helena devait me guetter. J’avais à peine redescendu l’escalier qu’elle me héla.
— J’arrive, Marcus, attends-moi !
Je la vis s’envelopper dans sa cape, puis dévaler les marches ; une grande fille volontaire habillée d’une robe bleue ornée d’un collier d’ambre, qui savait ce que j’étais venu lui dire avant que je puisse ouvrir la bouche. Je le lui dis quand même pendant que nous marchions dans les rues de Rome. Ensuite, je lui déclarai que quoi que j’aie pu dire à Anacrites, je n’avais pas l’intention de rester dans une cité qui ne tenait pas ses promesses.
— Où que tu ailles, je viendrai avec toi !
Elle était merveilleuse.
Nous marchâmes jusqu’au vieux rempart construit par les républicains pour encercler la ville d’alors. Rome s’étendait depuis longtemps au-delà de ces grandes murailles qui faisaient maintenant figure de monument élevé à nos ancêtres. De là-haut, on avait un magnifique point de vue sur la ville moderne. Helena et moi aimions y grimper en périodes de troubles pour sentir le vent nocturne nous envelopper, tandis que nous avions l’impression de marcher au-dessus du monde.
Des jardins de Mycænas, sur les pentes de l’Esquilin, montait une forte odeur printanière de sol humide agité d’une vie nouvelle. D’inquiétants nuages noirs traversaient le ciel. Nous apercevions distinctement la crête sombre du capitole auquel il manquait le temple de Jupiter qu’un incendie avait détruit pendant la guerre civile. Les petites lumières alignées sur les quais nous permettaient de suivre des yeux les méandres du fleuve. Derrière nous, une sonnerie de trompettes venant d’une caserne de la garde prétorienne parut être la cause d’un immense vacarme dans une taverne de la porte Tiburtina. Au-dessous de nous, des singes jacassaient dans les baraques des diseuses de bonne aventure ou des montreurs de marionnettes qui distrayaient la plèbe. Même en hiver, les pauvres cherchaient des distractions dehors. Les rues étaient encombrées de
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