L'or de Poséidon
premières actions au Sénat. Conclusion : on l’avait ensuite chargé de s’occuper des concours de poésie et des festivals. Mais c’était le passé ; aujourd’hui, il se conduisait bien en public ; il n’empêche que je ne lui faisais pas confiance.
Et j’avais de bonnes raisons de ne pas lui faire confiance. Je savais des choses sur lui qui n’étaient pas bonnes à répéter. Sa réputation de comploteur était bien fondée : j’étais en position de le faire accuser d’un crime sérieux. J’avais promis à son père et à son frère qu’ils pouvaient compter sur ma discrétion, mais cette connaissance que j’avais de son passé récent avait pesé dans ma décision de le choisir comme interlocuteur. C’est donc plein d’assurance que je me présentai devant lui.
— Didius Falco !
Ayant été annoncé officiellement, il m’était impossible de déterminer si le jeune prince me reconnaissait ou non.
Il était vêtu de pourpre, c’était son privilège. Sa couronne était fort simple et reposait sur un coussin. Il n’y avait pas de montagnes de raisins, pas de gobelets incrustés de joyaux, très peu de guirlandes, et aucune danseuse en train d’onduler tout autour de la salle. Il s’occupait des affaires publiques avec le même sérieux que Vespasien et Titus. Je n’avais pas devant moi un débauché paranoïaque julio-claudien. Il était dangereux et j’étais en mesure de le prouver. Cependant, après toutes ces années passées à pratiquer le métier de détective privé, j’aurais dû savoir que ce n’était pas suffisant pour se retrouver en position de force.
Naturellement, nous étions entourés de nombreux serviteurs. Des esclaves qui donnaient l’impression d’avoir un travail à faire et l’accomplissaient sans être surveillés par quiconque. C’était toujours le cas dans les salles où les Flaviens accordaient leurs audiences. Soudain, je remarquai aussi quelqu’un d’autre qui attendait sur le côté. Au même moment, Domitien lui fit signe d’approcher.
— J’ai demandé à Anacrites de se joindre à nous.
Voilà pourquoi j’avais attendu si longtemps : organiser ce désastre avait demandé un certain temps. Croyant sans doute que je venais le voir en tant qu’agent impérial, Domitien avait envoyé chercher Anacrites, le Chef Espion officiel du palais, pour le seconder.
Les lèvres pincées de ce dernier trahissaient sa tension. Cet homme aux yeux pâles, méticuleux jusqu’à l’obsession, avait réussi à porter l’art de la suspicion et de la jalousie à un niveau insoupçonné.
De tous les minables tyrans sévissant au sein du secrétariat du palais, il était le pire. Et de tous les ennemis que je me connaissais à Rome, je ne haïssais personne davantage.
— Merci, César, mais nous n’avons pas besoin de lui faire perdre son temps. Je suis venu te consulter au sujet d’une affaire personnelle.
Domitien ne réagit pas. Anacrites ne fit pas mine de partir.
— Et c’est quoi, cette affaire ?
Je pris une profonde inspiration. À mon grand désarroi, je sentis que mes paumes transpiraient. Je concentrai tous mes efforts pour m’exprimer d’une voix unie.
— Il y a quelque temps, ton père m’a dit que si je pouvais produire les garanties financières nécessaires, il me ferait membre de la classe moyenne. Je viens juste de rentrer de Germanie où j’ai accompli plusieurs missions pour le compte de l’État. Je souhaite maintenant me marier et mener une vie plus calme. Mon père âgé, qui est plus que d’accord avec ce projet, a déposé quatre cent mille sesterces chez un agent pour qu’il les investisse dans des terres à mon nom. Je suis donc venu mendier l’honneur que ton père m’a promis.
J’avoue que j’étais assez content de mon petit discours. Net et concis. Domitien se montra encore plus concis. Il se contenta de me demander :
— Si je ne me trompe pas, tu es détective privé ?
Au temps pour la rhétorique polie. En fait, j’aurais dû dire : Tu es un salopard, et je peux le prouver. Signe ce parchemin, César, où tu es un homme fini.
Il ne regarda pas Anacrites. Il n’avait pas besoin de son aide. D’autant moins que tout devait avoir été arrangé entre eux avant même que je franchisse le seuil de la salle d’audience. Les règles étaient claires. Domitien les énonça :
— En réformant l’ordre Sénatorial et l’ordre Équestre, mon père entend constituer des groupes de
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