L'or de Poséidon
vivre ici. Si des invalides en situation financière difficile venaient s’installer Cour de la Fontaine, soit l’exercice obligatoire les guérissait, soit l’escalier les tuait rapidement. Il n’y avait pas d’autre alternative. D’ailleurs, nous avions perdu pas mal de voisins de cette façon. Et Smaractus, le propriétaire, cherchait tout de suite à tirer profit de la vente des maigres effets de ses locataires décédés.
Arrivée en haut, Helena Justina sortit une boîte d’amadou de sous sa cape. Sans doute le découragement me donna-t-il une main sûre, car non seulement je parvins à obtenir tout de suite une vive étincelle, mais aussi à allumer une fine bougie avant qu’elle ne s’éteigne. Sur le chambranle de ma porte, une pancarte à l’écriture un peu effacée indiquait que c’était bien là que M. Didius Falco se livrait à ses activités de détective privé. Après avoir vainement essayé de trouver l’outil qui me servait à manœuvrer le loquet rudimentaire condamnant ma porte, j’empruntai une fibule à Helena, l’attachai à un morceau de tissu arraché à ma propre tunique et enfilai le tout dans le trou de la porte pour aller à la pêche au loquet.
Pour une fois, ce système fonctionna. (D’habitude, la fibule se casse, la fille vous flanque une gifle, et il faut aller emprunter une échelle pour grimper à l’intérieur.) Mais la raison de mon succès fut très vite évidente : le loquet était cassé. Effrayé à la pensée de ce qui nous attendait, je poussai le battant et levai bien haut la bougie pour examiner l’étendue des dégâts.
Comme c’est souvent le cas, mon logement m’apparaissait plus petit et plus minable que dans mon souvenir. Il faut dire qu’il n’avait jamais été en si triste état.
Abandonner son gîte comporte toujours un risque. Mais les Parques, qui adorent s’acharner sur un malchanceux, avaient fait très fort. Les premiers envahisseurs avaient probablement été des insectes et des souris, suivis par des nichées de colombes particulièrement mal éduquées. Entrées par le toit, elles avaient lâché leurs fientes un peu partout. Mais cela n’était rien en comparaison des déprédations commises par les rapaces humains qui avaient visiblement pris leur place. Des traces, dont certaines étaient vieilles de plusieurs mois, indiquaient que ces citoyens-là n’avaient pas reçu une meilleure éducation que les colombes.
— Oh, mon pauvre Marcus ! s’exclama Helena Justina, très choquée.
Elle avait beau être fatiguée et furieuse contre moi, confrontée à un homme complètement désespéré, son altruisme reprenait le dessus.
Je lui rendis très protocolairement sa fibule, puis lui tendis la bougie pour qu’elle m’éclaire. Je fis un pas à l’intérieur et donnai un violent coup de pied dans le seau qui se trouvait sur mon chemin.
Le seau était vide. Les occupants illicites avaient fait l’effort de jeter leurs détritus dans le récipient prévu à cet effet, mais ils visaient mal. Alors au bout d’un moment, ils n’avaient même plus essayé. Tout avait pourri sur le plancher et pénétré dans le bois.
— Marcus chéri…
— Chut, princesse. Laisse-moi m’habituer à cette vision de cauchemar avant de me parler !
Je traversai la pièce, celle que j’utilisais naguère comme bureau. Au-delà, dans ce qui était ma chambre, ou ce qu’il en restait, je trouvai d’autres traces des envahisseurs. Ils avaient dû évacuer les lieux pas plus tard qu’aujourd’hui, quand une mauvaise réparation effectuée dans le toit avait cédé, écrasant mon pauvre lit sous une avalanche de tuiles et l’inondant entièrement. Il n’y avait plus rien à en tirer.
Helena s’approcha de moi par-derrière.
— Bien ! m’exclamai-je en faisant un louable effort pour ne pas dramatiser. Je pourrais toujours attaquer le propriétaire, si j’avais vraiment du temps à perdre.
Je sentis la main d’Helena se glisser dans la mienne.
— Est-ce qu’on t’a volé quelque chose ?
— Je ne laisse jamais rien à l’intention des voleurs. J’avais tout transporté chez ma mère et mes sœurs. Alors s’il me manque quelque chose, j’aurai la consolation de penser que ça reste dans la famille.
— Oui, c’est une vraie consolation ! acquiesça-t-elle.
Comment ne pas craquer devant cette fille ? Elle inspectait le saccage en tordant le nez, avec une gravité destinée à me faire éclater d’un rire
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