L'Orient à feu et à sang
coûté tant d’efforts aux assiégés, était désormais comblé par des gravats. Une sorte de gorge séparait encore la rampe des remparts, mais elle ne mesurait plus qu’une vingtaine de pas de large et était en partie remplie par le glacis des assiégés contre la muraille. Lorsque cette gorge serait comblée, les troupes d’assaut sassanides disposeraient d’un pont de terre de quelque vingt-cinq pas de large sur lequel elles pourraient s’approcher des remparts et y prendre pied.
Le labeur harassant de milliers de terrassiers avait permis la progression de la rampe de siège. Chaque matin, dans la lumière grise précédant l’aube, on avançait les vinæ, les abris mobiles, et on les mettait bout à bout pour former trois longues allées couvertes. Dessous, des chaînes d’hommes rassemblaient la terre, les gravats et le bois que ceux de l’avant, protégés par d’épais écrans, allaient ensuite mettre devant la rampe. Sur les côtés, d’autres travailleurs, protégés eux aussi par des écrans, posaient les briques de terre crue et les assemblaient au mortier pour monter les murs de soutènement.
La rampe avait coûté la vie de très nombreux hommes dans les rangs des Sassanides. Peu de temps avant le début des travaux, Ballista avait fait reculer derrière les remparts, dans l’axe de la rampe, les quatre balistes tirant des boulets de vingt livres. Plusieurs maisons avaient été détruites pour leur faire de la place. Les propriétaires qu’on avait pu trouver avaient reçu la promesse d’une compensation – au cas, bien sûr, où la ville ne serait pas prise. Chaque matin, les vinæ devaient avancer sur la même ligne et rester en place toute la journée. Chaque matin, les balistaires opérant les quatre gros engins, après avoir effectué leurs réglages et adopté une trajectoire haute, tiraient à l’aveuglette par-dessus les murs de la ville, confiants qu’ils feraient mouche tôt ou tard, avec l’aide des guetteurs postés sur les remparts, qu’un de leur boulet de pierre percuterait l’une des vinæ à grande vitesse, traverserait le bois et le cuir, et réduirait en bouillie les hommes travaillant dessous dans une sécurité toute illusoire.
Dès que les guetteurs sur les murs criaient « touché, touché », les archers des assiégés émergeaient des abris qu’ils avaient creusés à la base du glacis intérieur, couraient sur les remparts et déversaient une pluie dévastatrice de flèches à pointes de fer ou de bronze sur les Sassanides à découvert qui s’employaient fiévreusement à réparer ou à repositionner les vinæ.
Ballista avait ordonné que les deux balistes tirant des boulets de six livres, placées sur les tours de la portion de mur menacée, se concentrassent sur les maçons construisant les murs de soutènement de la rampe. Les balistaires qui les opéraient voyaient clairement leurs cibles. Les écrans et mantelets ne pouvaient résister à des impacts répétés, lesquels se soldaient, là aussi, par un immense carnage.
Les engins sassanides avaient fait leur possible pour détruire leurs homologues, mais n’avaient pas réussi jusqu’à maintenant à mettre un terme aux dégâts causés par les assiégés. Ballista avait dû remplacer par deux fois les deux balistes des tours ainsi que les hommes qui les manœuvraient, et une de celles tirant des boulets de vingt livres avait été mise hors d’usage. Il n’y avait plus d’engins de réserve. Cependant, la fréquence des tirs n’avait guère diminué.
Sous les yeux de Ballista, un boulet de six livres, propulsé à une vitesse qui le rendait presque invisible, s’écrasa contre l’un des écrans protégeant les maçons. Des éclats de bois volèrent, un nuage de poussière s’éleva, l’écran sembla se déformer, mais resta en place. Encore un ou deux autres impacts, et il serait détruit : d’autres reptiles morts et un nouveau contretemps pour les assiégeants.
Ballista se remit à couvert derrière le parapet. Il s’y adossa et s’assit, plongé dans ses réflexions. Chaque nuit, les Sassanides se retiraient pour revenir le lendemain matin. Pourquoi ? Pourquoi ne travaillaient-ils pas pendant la nuit ? Ils disposaient pourtant de la main-d’œuvre nécessaire. Si Ballista les avait commandés, ils auraient travaillé de nuit. Il avait lu quelque part que sous le précédent Empire oriental, celui des Parthes, on semblait répugner à combattre la nuit. Peut-être en
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