L'Orient à feu et à sang
allait-il de même pour leurs successeurs perses. Pourtant, ils creusaient de nuit leur galerie de sape sur le flanc du ravin. Quelque chose de particulier devait les pousser à le faire. C’était un mystère – mais la guerre n’était-elle pas une suite d’événements inexplicables ?
— J’en ai vu assez pour le moment. Descendons.
Courbé en deux, Ballista se dirigea vers l’escalier de la tour et descendit les marches. Il marcha vers la plus au nord de ses deux mines, située à quelques pas. Castricius attendait à l’entrée. Ballista invita sa suite à y entrer en premier : Maximus, Demetrius, le scribe nord-africain, deux messagers et deux equites singulares.
— Nous pouvons parler ici.
Ballista s’assit. Castricius s’accroupit à côté de lui, Demetrius un peu plus loin. Il remarqua le linteau massif et les épais étais de mine. Il ne se sentait pas trop mal, ici ; il ne ressentait pas l’angoisse d’être enfermé lorsque trois ou quatre pas seulement le séparaient de l’air libre.
En face d’eux, une chaîne d’hommes sortait du tunnel, des seaux remplis de déblais.
Castricius produisit plusieurs bouts de papyrus, tous couverts de ses griffonnages. Il exposa clairement et brièvement le chemin emprunté par son tunnel. Il passait sous la muraille, sous le glacis extérieur et serpentait vers la rampe de siège perse. Consultant ses notes, il fit part de ses besoins en matériel : des étais de mines et des lattes pour soutenir les côtés et le toit du tunnel, des lanternes et des torches pour l’éclairage et les divers produits inflammables et leurs récipients qui constituaient la finalité de la mine. Ballista approuvait les quantités requises et Demetrius en prenait note.
Castricius s’en alla vérifier l’état d’avancement des travaux. Ballista resta assis à sa place en silence. Un projectile sassanide s’écrasa avec fracas contre la muraille au-dessus. Une fine poussière tomba du plafond. Après s’être demandé si l’étai de mine en face de lui n’était pas légèrement décentré, Ballista se mit à penser à Castricius et aux caprices du sort. Il devait avoir commis un crime terrible pour être envoyé dans les mines. Il avait survécu à cet enfer, ce qui montrait une capacité de résistance peu commune ; il s’était engagé dans l’armée (n’y avait-il pas une clause dans le règlement qui aurait dû l’en empêcher ?). La découverte du corps de Scribonius Mucianus avait porté à l’attention de son Dux sa connaissance des mines ; il avait été l’un des trois survivants de la désastreuse expédition commandée par Prosper, le jeune optio, ce qui lui avait valu le poste de porte-étendard de Ballista. Et aujourd’hui, son expérience des souterrains jouait une nouvelle fois en sa faveur, puisqu’il avait été promu centurion en charge de l’excavation de cette mine.
Un autre boulet de pierre percuta la muraille et un autre filet de poussière tomba du plafond. Après avoir médité sur la mine et les revirements de fortune, Ballista en vint, par des chemins détournés, à la question de la trahison. Demetrius n’avait pas réussi à déchiffrer le message codé, mais son existence même montrait qu’il y avait encore au moins un traître dans les murs, ou du moins que les Perses pensaient qu’il y en avait un. Ballista était sûr qu’ils avaient raison.
Que savait-il du traître ? Il avait certainement assassiné Scribonius Mucianus. Il avait mis le feu au magasin d’artillerie et avait tenté d’organiser l’incendie des greniers. Il était en communication avec les Sassanides, même si elle était parfois interrompue. Il était clair qu’il voulait que la ville fût prise. Mais qui voudrait une chose pareille, une chose si monstrueuse ? Un des habitants, parmi ceux qui avaient dû renoncer à leur maison, aux tombes de leurs ancêtres, à leurs temples, à leurs esclaves et à toutes leurs libertés à cause des mesures défensives que Ballista avait instaurées ? Et n’avait-il pas lui-même justifié la trahison en détruisant tout ce qu’il était censé protéger ?
S’il s’agissait d’un habitant, il devait être riche. Le naphte coûtait très cher ; il dégageait une forte odeur : seuls les riches pouvaient s’en procurer et disposer de l’espace suffisant pour l’entreposer et dissimuler son odeur nauséabonde. Il devait appartenir à l’élite ; un des synodiarques – Anamu, Ogelos
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