Louis Napoléon le Grand
déchirement de cette séparation s'ajoute à la douleur dudépart et à la difficulté des conditions du voyage. Hortense, son fils cadet et sa suite ne doivent qu'à la protection autrichienne qu'on ne leur fasse un trop mauvais sort. Decazes, l'amant supposé, a une attitude dépourvue de complaisance, et même franchement méprisable.
Car à l'égard de ces deux proscrits, on fait décidément assaut de mauvaises manières. Pour mieux se faire valoir auprès du nouveau régime, c'est à qui se montrera le moins zélé et le moins accueillant pour les fugitifs. Dès qu'Hortense arrive quelque part, les maîtres des lieux n'ont de cesse de l'expédier ailleurs et au plus tôt, faisant d'elle une sorte de mistigri qu'on refile au voisin qui s'en débarrasse à son tour.
L'enfant est là, et il voit. Très jeune, il prend la mesure de ce que sont la couardise, l'infidélité, la versatilité humaines. Il lui en restera toujours quelque chose: une absence d'illusions sur les hommes qui se traduira, curieusement, par une indulgence désabusée.
Il est vrai que, dès son plus jeune âge, on trouve des témoignages nombreux et concordants sur sa gentillesse et sa délicatesse, qualités qui lui sont données au départ et que l'expérience ne fera que développer. Cet enfant a le coeur sur la main. On serait tenté d'écrire que tout laisse prévoir, très tôt, qu'il sera un brave type.
A la Malmaison, il jouait avec les grognards en service de garde, et ne s'échappait que pour aller leur chercher des biscuits. « Un jour, raconte le faux baron d'Ambès, il revint pieds nus, en manches de chemise, dans la neige et la boue. On commença par le gourmander. Mais il raconta, et le fait était exact, qu'ayant rencontré une famille pauvre et sans argent, il avait donné ses souliers à l'un des enfants et sa redingote à l'autre. »
Oui, comment ne pas croire son précepteur Le Bas quand il le décrit, quelques années plus tard, comme « un enfant charmant sous le rapport des qualités du coeur. Bonté, douceur, prévenance. Je ne sais encore si j'en ferai un savant, mais je n'en ferai jamais un ingrat ». C'est le même précepteur qui racontera: « Je lui disais lundi dernier: "c'est demain le 22 août; j'étais bien heureux il y a un an: j'avais un fils!" et quelques larmes coulèrent de mes yeux en lui disant cela. "Consolez-vous monsieur, me dit-il; vous n'avez plus de fils; mais moi je peux en tenir lieu!" On peut tout attendre d'un enfant comme celui-là. »
C'était vrai, et, plus tard, le maître aura d'autres occasions de s'en rendre compte: « Il vient de me donner une preuve touchante de son attachement et de sa délicatesse. Nous jouons, depuis quelque temps, la comédie... Notre dernière représentation se composait de Fanfan et Colas et du Prisonnier. Dans la première pièce, le jeune prince remplissait le rôle de l'enfant gâté, et on m'avait destiné celui du précepteur; mais quand mon cher Louis eut lu la pièce, il déclara qu'il ne pourrait pas jouer si je conservais ce rôle, parce qu'il devrait se montrer ingrat et insolent à mon égard et qu'il ne pourrait jamais l'être, même en jouant la comédie. Cela seul peut [...] faire juger de son coeur. »
Du coeur, Louis Napoléon en aura jusqu'à l'excès, au risque de desservir ses propres intérêts. Il aspirera, pathétiquement, à être aimé, comme sans doute il l'eût mérité, et du coup sera souvent enclin aux générosités les plus folles, aux concessions les plus extrêmes. Mais cela n'explique pas tout. Nombre de ses gestes resteront discrets, sans espoir de contrepartie.
La liste des institutions charitables qu'il créera ou aidera est impressionnante, au point d'occulter son oeuvre sociale qu'elle pourrait réduire à du paternalisme.
En fait il en aura tant vu, il aura assisté à tant de retournements de situations, il aura eu à souffrir de tant de revirements qu'il en viendra, paradoxalement, à ne jamais définitivement désespérer de personne. Il pratiquera ainsi le pardon des injures. Rien ne sera plus étranger à son comportement que l'exercice de la vengeance. Et pourtant, c'est peu dire qu'il sera rarement payé de retour... « Je sais bien qu'il m'appelle Badinguet; ce n'en est pas moins un officier de valeur, et je désire qu'il soit rétabli sur le tableau », dira-t-il du commandant Lewal, qu'on avait écarté des listes d'avancement et qu'il y fait réinscrire.
Il donnera une ambassade à Prévost-Paradol qui
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