Louis Napoléon le Grand
la suite dans les idées. Elle pleure beaucoup, s'apitoie sur elle-même, mais sait faire preuve de réalisme quand il en est besoin. D'une immense générosité, elle n'hésite jamais à réclamer ce qui lui semble dû.
Il ne faut donc pas trop s'arrêter au jugement de Talleyrand, pour le moins incomplet: « Elle était, écrit-il, née pour l'exil. Si l'adversité dans laquelle son destin l'a mise n'en eût pas décidé ainsi pour son propre malheur, elle l'eût choisi de sa propre volonté, pour avoir un prétexte à aller de-ci de-là, à changer sans cesse, puis de s'en lamenter. »
Et pourtant, cette femme parfois si frivole, et qui aime tant qu'on la plaigne, sait galvaniser son énergie quand les circonstances l'exigent. Pour Louis Napoléon, elle sera mieux qu'une mère poule: une lionne qui sort ses griffes lorsque son petit est menacé. Pour le protéger, elle ne reculera devant rien. Aucun doute là-dessus: cette femme qui occupe une bonne partie de son temps à rechercher des trèfles à quatre feuilles, et qui n'est jamais si heureuse que lorsqu'elle reçoit force lettres, albums, dessins ou poèmes, est, à ses heures, quand il le faut, une maîtresse femme.
En 1814, au premier retour des Bourbons, en pleine débandade, nul ne paraît s'occuper de son sort. Alors, elle prend son destin en main: par le truchement de son frère Eugène, elle approche le tsar, qui va lui accorder sa protection. La voilà duchesse de Saint-Leu par la grâce de Louis XVIII, pourvue d'un revenu solide, et retrouvant sa place dans une vie mondaine renaissante.
On lui en fera beaucoup reproche; surtout, plus tard, lors du retour de l'Aigle. Elle sera alors accusée de s'être « prostituée à Louis XVIII », d'être la maîtresse de son favori Decazes, l'un des prétendus « pères », et d'entretenir des relations équivoques avec Alexandre I er ...
Et, de fait, c'est un spectacle pour le moins étonnant que celui des funérailles de Joséphine de Beauharnais à laquelle les honneurs militaires sont rendus par un régiment de cosaques, ou encore des promenades d'Hortense et du vainqueur de Napoléon, des batifolages de Louis Napoléon avec l'empereur de toutes les Russies à qui il fait de petits cadeaux pour le remercier d'être si gentil avec sa maman...
On a souvent raconté la terrible scène qui mit aux prises l'infidèle et Napoléon, à peine celui-ci arrivé à Paris après son retour de l'île d'Elbe. Mais soit qu'elle ait les vertus de sa mère, experte dans l'art de retourner de telles situations, soit que l'empereur n'ait guère le choix, en raison de l'éloignement de Marie-Louise, la voilà qui rentre en grâce et, mieux encore, qui devient, de fait, la première dame de France et qui reçoit, aux côtés de l'empereur, une haute société appelée, pour la deuxième fois en quelques mois, à changer de style.
Au cours de ces folles semaines, ses deux fils retiennent d'ailleurs à nouveau une attention qui s'était quelque peu détournée d'eux après la naissance du roi de Rome. Mais l'héritier du trône n'est pas là et les temps qui s'annoncent sont incertains. Louis Napoléon est, avec son frère, aux côtés de son oncle, à la fenêtre des Tuileries, quand les troupes l'acclament. Il a sept ans. A cet âge, de tels événements ne peuvent manquer de laisser une impression durable, indélébile...
La veille du départ pour la dernière campagne, Louis Napoléon et son frère sont à nouveau introduits chez l'empereur. Louis Napoléon éclate en sanglots. Il a, expliquera-t-il des années plus tard, de terribles pressentiments.
« Pourquoi pleures-tu? lui demande Napoléon.
— Parce que vous allez à la guerre. Ne partez pas. Les méchants alliés vous tueront. Ou bien emmenez-moi! »
Et Napoléon, dit-on, de se tourner vers Soult:
« Embrassez-le, maréchal. Il a un bon coeur et une belle âme et sera peut-être l'espoir de ma race. »
L'espoir de la race verra une dernière fois son oncle au lendemain de Waterloo, à la Malmaison. Adieux furtifs. Dès lors plus dure sera la chute.
***
Désormais, il n'est plus question de solliciter la mansuétude des vainqueurs. Le tsar se dérobe, même si en sous-main il facilite les choses sur le plan financier. Louis XVIII, lui, reste inflexible. Et l'exil est inéluctable...
Hortense en prend la route le 19 juillet 1815, non sans qu'entre-temps il lui ait fallu mettre à exécution le jugement qui la prive de la garde de son aîné.
Le
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