Louis Napoléon le Grand
pour qu'un rapprochement provisoire ait lieu. Peu après la mort de leur premier fils, qui les laisse dans un même état de prostration, les deux époux tentent, brièvement, de reprendre une vie commune. Ils se retrouvent à Toulouse en juillet 1807: c'est là, selon toute vraisemblance, qu'aurait été conçu Louis Napoléon. Mais l'enfant naîtra malencontreusement quinze jours avant le terme des neuf mois qui suivent la rencontre. Et comme Hortense, au cours des semaines précédant celle-ci, avait cherché à s'étourdir, allant de promenades en excursions dans les Pyrénées, les spéculations sont allées bon train. Pourtant, tout indique que l'enfant fut effectivement un prématuré: ne fallut-il pas un bain de vin chaud et des frictions énergiques pour le sauver?
On recense néanmoins — sans omettre Napoléon I er lui-même — une bonne dizaine de pères putatifs; chacun d'eux a ses partisans farouches, qui depuis dix-huit décennies font reposer sur des arguments incertains l'identification du géniteur: Charles Adam de Bylandt-Palterslet, écuyer de la reine, Flahaut, son futur amant, Villeneuve, son chambellan, Decazes, alors préfet, le peintre Thiénon, l'amiral-ambassadeur hollandais Verhuel...
Ce débat, somme toute aussi vain que sordide, ne mérite pas qu'on s'y arrête. Dansette l'a clos lui-même d'une manière quasi clinique: « On se trouve dans l'impossibilité d'attribuer la paternité à un tiers quelconque, et le roi Louis est le seul homme dont on soit certain qu'il ait partagé le lit de la reine Hortense à l'époque de la conception. » Il n'empêche que l'époux lui-même ne fut pas le dernier à entretenir le doute par quelques paroles malheureuses, par exemple celle-ci: « J'ai épousé une Messalinequi accouche. » Le cardinal Fesch, pourtant membre de la famille, ne fut guère plus charitable, raillant Hortense qui, lorsqu'il s'agit des pères de ses enfants, « s'embrouille toujours dans ses calculs ». La rumeur publique s'en mêla colportant ce bon mot, doublement cruel: « Hortense fait des faux Louis... »
Cela ne saurait pourtant excuser les grandes plumes et les grands noms qui ont utilisé ces doutes comme une arme, une arme terrible, contre Louis Napoléon. Victor Hugo se laissa ainsi aller à dénoncer en lui « l'enfant du hasard [...] dont le nom est un vol et la naissance un faux ». Est-il nécessaire de relever au passage que notre plus grand poète (hélas! disait André Gide) pouvait, à l'occasion, se montrer odieux et même abject?
Controverses, hésitations, il y en eut donc, mais l'important est d'en mesurer les conséquences.
Sur Louis Napoléon, d'abord. Il semble que lui-même n'ait guère douté de sa filiation. « J'ai fait mes calculs », assurait-il parfois. Pour autant, cette polémique, qui l'a vraisemblablement meurtri, paraît n'avoir jamais influé sur son comportement. Si, s'agissant de Maxime Weygand, certains historiens placent dans un doute sur ses origines l'une des raisons qu'il aurait pu avoir de ne pas franchir en 1940 le Rubicon de la lutte à outrance, aucune explication de cet ordre n'a pu être avancée concernant Louis Napoléon.
Autre conséquence: ses rapports avec ses parents. Louis Bonaparte — bien que le plus probable auteur de ses jours — restera pour Louis Napoléon une rencontre épisodique, un correspondant occasionnel mais jamais une vraie présence. Lorsque Louis et Hortense, reculant devant le divorce, organiseront leur séparation — sans pouvoir éviter un procès —, le père, devenu comte de Saint-Leu, et qui se fixe à Florence, exigera de conserver auprès de lui le frère aîné, mais abandonnera Louis Napoléon à sa mère. Décision d'importance capitale, car Hortense sera désormais à même d'exercer sur son fils une influence déterminante. C'est en lui, forcément, qu'elle mettra tous ses espoirs, alors qu'il a un frère qui, par ordre naturel, a priorité sur lui.
Femme exceptionnelle que la reine Hortense. Jolie, spirituelle, gaie. « Une blonde exquise aux yeux d'améthyste », nous dit le contemporain non identifié qui se dissimule sous le pseudonyme de « baron d'Ambès ». Et avec ça, la séduction, la distinction mêmes. Élevée dans la tradition de l'Ancien Régime, elle ahérité de sa mère une apparence d'indolence insulaire qui dissimule mal une redoutable volonté. Sensible, rêveuse, romantique, elle sait fort bien ce qu'elle veut. Sous ses allures d'adorable bibelot, elle a de
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